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En mai 1747, Jean Sébastien Bach rend visite à son fils, Carl Philipp Emmanuel à Postdam, alors que celui ci est au service du roi de Prusse, Frédéric II.

Frédéric II est grand amateur de musique, et il joue de la flûte. Il va proposer à Bach d’improviser une fugue sur un sujet qu’il lui donne.

Voici ce thème:

thème royal.jpg

Thème sur lequel Bach, de retour chez lui, travaillera durant deux mois pour proposer enfin à Frédéric II une « Offrande Musicale », constituée d’une suite de canons, de deux fugues, l’une à trois voix l’autre à six, et d’une sonate en trio, toutes ces pièces étant basées sur ce thème royal. C’est à la suite de canons que nous allons nous intéresser ici.

Dans la partition originale, ces canons sont proposés sous forme d’énigmes à résoudre, ce qui n’est pas toujours aisé, comme nous allons le constater.

Le premier de ces canons est cependant assez facile à trouver. Une seule portée avec une clef au début et une à la fin. Il s’agit d’un canon « en écrevisse », c’est à dire une pièce dont la seconde voix est réalisée en remontant la première en partant de sa fin. Le thème royal est ici modifié rythmiquement pour des nécessités d’écriture.

Cette prouesse contrapuntique peut être apparentée au célèbre ruban de Moebius. Une animation particulièrement réussie réalisée à partir de ce canon peut être visionnée à ce lien:  https://www.youtube.com/watch?v=xUHQ2ybTejU

Voici tout d’abord la partition telle qu’elle se présente

canon1 original

Et en voici la réalisation

ecrevisse.jpg

Le deuxième canon est également aisé à résoudre. Il s’agit d’un canon à l’octave entre deux voix. Le thème royal se trouve à la basse.

Voici la partition originale

canon 2

Et voici la réalisation

canon 2 v a l'octave..jpg

Le troisième canon, un peu plus complexe, est un canon par mouvement contraire.

Voici la partition originale

Remarquer la clé d’ut 3eme ligne renversée sur la portée du bas. Pour déduire la partie manquante, il faut donc retourner la partition et lire ainsi la ligne obtenue. Un problème se pose cependant avec les altérations, sujet à discussion. On va trouver dans ce canon des frottements harmoniques assez âpres, donc savoureux. Le thème royal est ici dans le registre aigu. canon 3

Voici la réalisation de ce canon

canon mtum contrarium..jpg

Le canon numéro 4 est l’un des plus complexes de la série. Il est en effet en mouvement contraire et en augmentation. Pour information, traiter une ligne mélodique en augmentation consiste à la présenter en valeurs plus longues. Dans le cas présent, le temps est doublé pour la voix à déduire : une noire remplace une croche, une croche remplace une double croche, etc.. De même que pour le canon précédent, on remarque sur la portée du bas une clé de sol inversée qui va donc indiquer les notes à trouver, en retournant la partition.

Voici la partition originale

canon 4.jpg

Le thème royal se trouve ici sur la ligne du dessus, présenté de manière variée. Dans la réalisation ci-dessous, il est au milieu.

Voici la réalisation de ce canon

canon 4 1.jpg

canon 4 2.jpg

canon 4 3.jpg

Pour écouter cette pièce plus en détail, voici les deux voix en canon, sans la voix centrale. On pourra ainsi apprécier pleinement ce principe d’écriture en augmentation avec mouvement contraire, qui prouve l’incroyable maîtrise du compositeur dans le domaine de l’écriture rigoureuse. Le problème est d’autant plus ardu que la partie en augmentation dure deux fois plus longtemps que la partie originale, ce qui fait que cette dernière doit donc être pensée de manière à s’accorder avec son double augmenté alors qu’elle est jouée deux fois, et cela avec la troisième voix donnant une variation du thème royal ! C’est assez vertigineux.

canon 4 aug 1.jpg

canon 4 aug 2.jpg

Le canon numéro 5 est un canon modulant. En effet dans ses dernières mesures, il change de tonalité à distance d’un ton du ton d’origine. Il commence donc en ut mineur pour passer en ré, puis en mi, puis en fa dièse, sol dièse, si bémol, puis revient logiquement sur la tonalité d’origine ut. On a comparé ce canon à une vis sans fin. Dans l’idée de Bach, cette ascension modulante est censée symboliser la gloire ascendante du roi Frédéric II. On pourrait le jouer à l’infini, en partant du registre grave pour s’acheminer vers le registre aigu, jusqu’à l’inaudible. La musique irait ainsi se perdre dans le silence des hauteurs inaccessibles.

canon par tons 1.jpg

canon par tons 2.jpg

canon par tons 3.jpg

canon par tons 4.jpg

La pièce qui suit, intitulée Fuga canonica in Epidiapente est en fait un canon à la quinte accompagné par une basse en contrepoint libre.

En voici la partition telle qu’elle se présente au début

canon 6.jpg

La première voix est en clé d’ut première, la seconde en clé de sol première. Cette seconde voix à la quinte rentre sur la mesure 11. Les entrées des voix se font sur le thème royal.

Le canon numéro 7 est un canon perpétuel.

En voici la partition telle qu’elle se présente

canon 7

En voici la réalisation

canon  7.jpg

Le canon qui suit, le numéro 8 est également un canon perpétuel dont la deuxième voix est l’inverse de la première. On trouve ce procédé dans les fugues « rectus-inversus » de l’Art de la Fugue.

Voici tout d’abord le début de la partition originale. Le canon se joue entre les deux voix du haut, la basse étant en contrepoint libre.

canon 8.jpg

Voici pour montrer le principe d’écriture, les deux voix superposées. On peut ainsi apprécier (visuellement bien entendu) le jeu de mouvements contraires.

canon 8 1.jpg

canon 8 2.jpg

Voici enfin les deux voix en canon.

Pour terminer cette suite,  les deux derniers canons, précédés de la mention « quaerendo invenietis » qui signifie « c’est en cherchant qu’on trouve ».

Voici la partition du numéro 9

Remarquer la clé de fa renversée

canon 9

Et sa réalisation

canon 9.jpg

Le canon numéro 10, à quatre voix.

Canon 10.jpg

La phrase d’introduction, d’une très grande beauté mélodique, est une variation (en sol) du thème royal. Les entrées des quatre voix se font toutes les huit mesures, sur le motif en double croches, facilement repérable, à la fin de la deuxième ligne.

canon 10.jpg

Comme on peut le constater, ceci est tout à fait passionnant, d’autant plus qu’il se dégage de toutes ces pages d’apparence austère une immense poésie, qui émane de chacune des pièces de cette Offrande Musicale, qu’il s’agisse de ces canons qui restent des miniatures musicales, ou qu’il s’agisse de l’immense ricercare à six voix ou de l’admirable sonate en trio.

Ne pas hésiter donc à se plonger dans cette oeuvre à l’inspiration inépuisable.

On peut également se plonger dans la lecture de Gödel, Escher, Bach : Les Brins d’une Guirlande Éternelle  de Douglas Hofstadter. Un parallèle intéressant entre le mathématicien Gödel, le dessinateur Escher, célèbre pour ses perspectives impossibles tendant vers l’infini, (https://www.google.fr/search?q=escher&client=firefox-b&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=0ahUKEwiNoZjV8_LUAhWHXhoKHbNtB2kQ_AUICigB&biw=1280&bih=915) et l’écriture contrapuntique de Bach. Hofstadter y insiste d’ailleurs particulièrement sur le canon modulant de l’Offrande Musicale.

Au sujet de cet article

Cet article ne prétend absolument pas proposer quelque chose de nouveau sur l’Offrande Musicale, oeuvre qui a déjà fait l’objet de nombreuses analyses et interprétations. J’avais envie depuis longtemps de regarder de près cette partition fascinante et énigmatique. C’est la seule raison pour laquelle j’ai eu envie de l’écrire, et ainsi de le publier sur ce site.