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La période baroque correspond dans l’histoire de la musique au développement et à l’émancipation de la musique instrumentale. En effet, de nombreux genres instrumentaux tels que la sonate, la suite de danses ou le concerto verront le jour durant cette ère qui s’étend de 1600 à 1750. Cette émancipation est due à de nombreux facteurs.
La naissance du style concertant.
Au début du 17eme siècle s’ouvre donc en musique une ère nouvelle. Ce renouveau est en partie dû à la naissance de l’opéra en Italie. Un style va se développer que l’on va appeler style concertant (stile concertato), expression appliquée au début tant aux œuvres vocales qu’aux œuvres instrumentales. Le style concertant confère à chaque partie un rôle bien défini, contrairement aux œuvres de la renaissance dans lesquelles les différentes voix se fondent en un tout dans lequel chacune possède un rôle similaire.
Monteverdi parlera de « stile nuovo », ou style nouveau, par opposition au « stile antico », ou style ancien. Le « stile nuovo » va donner la primauté à une voix, le superius, chargée de traduire musicalement les textes poétiques. La musique instrumentale reprendra ce principe en mettant en avant une ou plusieurs lignes principales soutenues par un accompagnement fait d’une ligne de basse que l’on va appeler continuo ou bien basse continue. Sont alors posés les jalons du style musical qui va s’épanouir durant toute cette ère baroque, l’une des plus longues de l’histoire de la musique puisqu’elle durera de 1600 à 1750 (mort de Jean Sébastien Bach).
Petite parenthèse
La rupture avec le style dit ancien ne s’est pas faite de manière brutale. Le stile antico va en effet perdurer pendant la période baroque, et de nombreux compositeurs vont persister dans le domaine polyphonique à la manière des maîtres de la renaissance, notamment dans leur musique religieuse.
La basse continue
La basse continue est donc l’une des grandes innovations de la période baroque. Ce principe consiste à jouer sous la partie de superius une ligne de basse toujours instrumentale avec ou non des chiffrages permettant à un instrument polyphonique tel qu’un clavier ou un luth de réaliser les accords. Il est très rare que ces accords soient écrits par le compositeur, et ils sont laissés au soin de l’interprète. Le principe perdure encore de nos jours. Les clavecinistes que l’on entend dans les orchestres de musique baroque sont en effet rompus à la réalisation des basses chiffrées. (On retrouve d’ailleurs le même principe dans le jazz, musique dans laquelle les accords sont représentés par des lettres et des chiffres permettant aux pianistes et guitaristes de jouer les harmonies). Les accords chiffrés permettent une grande simplification de la notation. Les partitions peuvent alors être réduites à deux lignes : la partie supérieure et la partie de basse chiffrée. Il était fréquent à la période baroque que les parties intermédiaires soient de simples parties de remplissage dont le compositeur se déchargeait volontiers. Lully dans ses ouvertures d’opéra n’écrivait que le dessus et la basse chiffrée, et il laissait alors à ses secrétaires le soin d’écrire les parties d’alto (haute contre), de taille et de quinte de violon, instruments longtemps tombés dans l’oubli mais que l’on cherche à faire revivre de nos jours.
Le fait de concevoir la musique en deux plans, un dessus virtuose soutenu par un accompagnement en basse chiffrée, va permettre l’épanouissement de la mélodie, celle ci pouvant alors se développer beaucoup plus librement que lorsqu’elle est soumise à un tissu polyphonique. Cette conception permettra notamment aux instrumentistes d’augmenter leurs capacités expressives. Les violonistes par exemple, vont de plus en plus s’aventurer dans les différentes positions, accroissant ainsi leurs possibilités techniques. Répertoire vocal et répertoire purement instrumental vont alors se développer de manière bien distincte. C’est là que commence la réelle émancipation de la musique instrumentale, liée aussi bien aux progrès de la facture qu’aux progrès techniques des instrumentistes.
Différents genres de musique instrumentale durant la période baroque. Sonate, suite, concerto.
La sonate tient dans l’histoire de la musique une place à part. Il s’agit en effet d’un genre très important qui va être le creuset de nombreuses recherches et d’aboutissements dans le domaine instrumental et dans l’écriture musicale. Le terme issu du verbe « suonare » (jouer, en italien), apparaît dans la seconde moitié du 16eme siècle avec la canzona da sonar, genre instrumental inspiré de la polyphonie vocale, dont voici un exemple de Giovanni Gabrieli.
On va distinguer deux types de sonates : la sonata da chiesa (sonate d’église) et la sonata da camera (sonate de chambre, c’est à dire destinée au concert). Dans les deux genres l’on va trouver une recherche constante de virtuosité, qui correspond comme il a été dit plus haut aux progrès réalisés dans le domaine de la lutherie. Le violon, notamment, atteint à cette époque son sommet avec des luthiers comme Amati ou Maggini. Il n’a pas changé depuis.
Voici des sonates de l’un des virtuoses de cette période, le violoniste Uccellini.
La sonate pour trois violons et continuo de Gabrieli
Pour la virtuosité, voici le Capriccio Stravagante (caprice extravagant) de Carlo Farina, oeuvre à rapprocher du concerto pour soliste, objet du paragraphe suivant. On y utilise des pizzicati, des sons harmoniques et même le jeu avec le bois de l’archet. (col legno). On retrouvera ce mode de jeu bien plus tard, notamment dans la Symphonie Fantastique d’Hector Berlioz !
Le concerto
Loin de l’acceptation moderne du terme, qui désigne un instrument soliste en dialogue avec un orchestre, le terme concerto au début de l’ère baroque réfère à toute oeuvre musicale faisant intervenir des groupes d’instruments différant soit par le timbre, soit par la dynamique. Monteverdi utilise également le terme pour désigner certaines pièces vocales donnant à entendre des voix en dialogue. (Concerto « Duo Seraphim » extrait des Vêpres). Dans la première moitié du 17eme siècle, le terme « concerto » va se réduire peu à peu à la musique instrumentale. Le véritable genre ne va se fixer que vers 1680, avec les concertos (concerti serait plus juste!) de Torelli, Corelli, et enfin Vivaldi.
Quelques exemples.
Les concerti ecclesiasticci de Viadana. Oeuvres destinées à l’église.
Les Sacrae Symphoniae de Gabrieli présentent également un caractère concertant.
Le concerto pour deux violons en sol majeur de Torelli, alors que commence à se fixer le genre « concerto pour soliste ».
Un concerto pour hautbois de Corelli.
Enfin, le concerto pour quatre violons de Vivaldi.
Arrangé pour quatre claviers par Bach. Il était fréquent à l’époque baroque que des compositeurs s’inspirent mutuellement.
A l’origine pour quatre clavecins, mais j’ai toujours aimé la version pour piano ! J’ai d’ailleurs eu l’occasion de le jouer dans une version pour quatre guitares.
Revenons en à Torelli et Corelli. C’est bien à eux, représentants de l’école de Bologne que revient la paternité du genre concerto pour soliste et orchestre. Les 12 concerti op 6 de Corelli furent composés vers 1682. Il s’agit de concerti grossi dans lesquels un petit groupe de solistes (le concertino) se trouve en dialogue avec un ensemble instrumental plus fourni (tutti ou ripieno). Dans cet ensemble, le premier violon tient déjà un rôle privilégié, ce qui laisse augurer de ce que sera la suite de l’évolution du genre.
Ces concertos restent cependant étroitement proches de la sonate, da camera ou bien da chiesa. L’on va trouver des préludes, des successions de danses, et l’esprit du concerto y figure surtout dans une alternance entre des masses sonores en écho.
Avec Torelli vont se préciser à la fois les formes et styles concerto. Tout d’abord, le plan en trois mouvements (vif-lent-vif) se fixe. Dans son opus 8, Torelli compose six concerti grossi et six concerti de soliste dans lesquels un seul violon se trouve opposé au tutti. Ce dernier propose les idées alors que le soliste les développe de manière virtuose.
C’est avec Vivaldi que la forme concerto en trois mouvements va réellement s’imposer. Celui que l’on appelait « le prêtre roux » va composer près de 470 concerti dont la plupart mettent en scène des instruments solistes divers : violon, hautbois, flûte, basson ou même mandoline. Chez Vivaldi, le concerto devient plus dramatique. Les contrastes sont très marqués, notamment entre l’allegro et l’adagio central. Les premiers mouvements de concerto chez Vivaldi possèdent généralement des thèmes bien marqués, avec des contours mélodiques précis et affirmant bien la tonalité. Dans les mouvements lents en revanche, il est fréquent que le soliste développe une sorte de cantilène sur un accompagnement harmonique de l’orchestre, à la manière d’un air d’opéra. Voici un exemple avec le concerto pour deux mandolines.
Certains concertos chez Vivaldi sont descriptifs, ce qui est également une marque d’originalité. Ces oeuvres à programme comportent donc des titres tels que La Chasse, La Tempête ou pour citer le recueil le plus connu, Les Saisons.
Vivaldi a beaucoup apporté dans le domaine de la technique instrumentale, en développant la notion de virtuosité de manière assez personnelle. Pour ce qui concerne l’orchestre, il y utilise parfois toutes les cordes en unisson, en pizzicato, ou avec sourdine. Par la suite, des compositeurs comme Albinoni, Tartini ou Locatelli continueront dans cette voie.
Petite parenthèse : le concerto pour soliste supplante le concerto grosso.
Avec Torelli et Vivaldi en effet, le genre concerto pour soliste va s’épanouir à tel point que le concerto grosso va peu à peu tomber en désuétude. Cette notion d’opposition entre masse orchestrale et individu est à rapprocher de l’opéra, tant elle est d’essence dramatique. L’un des premiers compositeurs à avoir appréhendé cette dualité est Lully, qui en 1666 dans son Ballet des Muses introduisait un menuet sur basse obstinée dans l’esprit d’une chaconne, avec un violon soliste en parfait dialogue avec l’orchestre.
Vers 1700, Alessandro Scarlatti mettra en évidence la virtuosité du premier violon de l’orchestre. Voici un exemple qui mérite que l’on s’y attarde : le second mouvement de ce concerto grosso (à 1’56 »), sorte de fugato qui à un moment expose une très belle partie de violon solo. Ne pas hésiter à écouter l’intégralité de cette musique toute de grâce.
On constate ainsi que la notion de concerto pour soliste est déjà contenue en germe dans des oeuvres antérieures à Torelli. Mais c’est avec ce dernier que la distinction entre soliste et orchestre se fera de manière systématique.
Fin de la parenthèse.
Trois grands maîtres de la période baroque: Bach, Haendel et Telemann.
Avec Bach, le genre concerto va s’adapter de différentes manières. Les Suites pour orchestre sont composées dans un esprit concertant, avec présence d’une flûte soliste dans la seconde (très célèbre Badinerie en si mineur), deux hautbois et un basson dans la première. D’autre part, les suites 3 et 4 sont dans l’esprit d’un concerto pour orchestre, à la manière des italiens du début du 17eme siècle.
Le concerto pour soliste adopte chez Bach le modèle vivaldien, avec une coupe en trois mouvements et des rapports identiques entre soliste et orchestre mais dans un esprit plus contrapuntique. Voici le fameux concerto pour violon en la mineur.
Il faut également écouter les concertos pour clavecin et orchestre. Voici par exemple le très puissant concerto en ré mineur.
Chez Bach, il faut s’attarder dans les concertos sur les mouvements lents qui développent toujours une très grande poésie.
Enfin, pour une synthèse entre concerto grosso et concerto pour soliste, les six Concertos Brandebourgeois, qui constituent une véritable somme de trouvailles orchestrales, d’invention mélodique et de virtuosité.
Voici le cinquième de ces concertos, qui contient notamment une très célèbre cadence pour clavecin à la fin du premier mouvement. Dans ce mouvement, le dialogue instauré entre la flûte et le premier violon mène le jeu.
On constate à l’écoute de cette vertigineuse cadence de clavecin que la virtuosité au clavier n’est pas l’apanage des grands pianistes de l’époque romantique !
Georg Friedrich Haendel, se réservait dans ses concertos pour orgue alors qu’il tenait la partie soliste des plages d’improvisation, notamment dans les mouvements lents. Cet esprit donne à ses concertos un caractère très spontané peut être moins réfléchi que chez son contemporain Bach. Voici le concerto en la majeur.
Le concerto grosso en sol majeur
Une page très connue: le concerto en si bémol pour harpe.
Telemann est un compositeur extrêmement original, dépassant en quantité d’oeuvres ses illustres contemporains. Sa production est en effet immense, et comprend des pièces aux sonorités souvent très particulières. Voici pour écouter un concerto pour quatre violons.
Le concerto pour deux altos.
Enfin, voici le concerto Da Camera, avec une brillante partie de flûte à bec.
Tous ces exemples prouvent à quel point l’écriture instrumentale a évolué durant cette période baroque. Un article suivant traitera de l’évolution d’un autre genre important de l’histoire de la musique instrumentale : la symphonie.