Un article du 16 janvier 2019 sur ce même site traitait de la musique instrumentale pendant la période baroque. En voici en quelque sorte la suite.
A partir de la période classique vont se fixer de manière définitive des formes, des genres et des formations instrumentales. C’est en effet durant cette période que l’orchestre symphonique devient la formation que l’on connaît de nos jours, cela notamment grâce aux compositions de Haydn, Mozart, et de leurs précurseurs. Des genres comme la symphonie en quatre mouvements se fixent également. Quant aux structures musicales, on considère la forme sonate bithématique comme l’un des apanages de cette période classique.
Le présent article est une approche des origines de la forme sonate et de la symphonie. Nous verrons ensuite comment bithématisme et symphonie doivent être présentés comme une synthèse de modes de pensée et d’écriture musicale ayant fait évoluer le langage vers une expressivité maximale.
La forme sonate.
Que signifie l’expression Forme Sonate ? Il s’agit d’une forme fixe qui régit la plupart des premiers mouvements de symphonies et concertos classiques. Forme tripartite qui consiste tout d’abord à exposer plusieurs thèmes, à les développer ensuite avant de les réexposer pour conclure. Ces deux thèmes sont toujours de caractère différent. Si par exemple le premier thème est à prédominance rythmique, le second peut être à prédominance mélodique, ou vice-versa. Peut également coexister un troisième thème. Par exemple le premier mouvement du quatuor dit « Des dissonances » de Mozart est une forme sonate trithématique, correspondant à la symbolique du chiffre 3 à une certaine période de la vie du compositeur.
Il faut savoir que pendant l’ère baroque, les pièces instrumentales sont principalement basées sur un seul thème. On parle alors de monothématisme. Une idée de base régit l’ensemble de la composition, qu’il s’agisse de sonate, de concerto ou de sinfonia.
C’est durant la période pré-classique que va s’affirmer le bithématisme, dont la paternité reviendrait en partie à Carl Philipp Emmanuel Bach dans la composition de ses sonates pour violon et clavier, ou pour clavier seul. Cependant, le fait de concevoir une composition à plusieurs thèmes avait déjà été inauguré auparavant à l’état d’ébauche, par certains compositeurs comme Jean Sébastien Bach, Jean Marie Leclair ou même Domenico Scarlatti.
Ecoutons pour exemple le premier mouvement du Concerto Italien de Jean Sébastien Bach.
On peut remarquer en ce début un thème très caractérisé rythmiquement :

Puis un autre, plus mélodique.

La structure de ce mouvement peut donc s’apparenter à une forme sonate. S’apparenter seulement, car ces deux thèmes sont dans la même tonalité (le mi bémol du thème B étant tout de même un emprunt au quatrième degré si bémol). A l’époque classique, il est inconcevable que le thème A et le thème B soient tous deux dans un ton identique, et les rapports tonaux que les deux thèmes entretiennent se situent entre tonique et dominante, (cas très fréquent) ou tons relatifs (premiers mouvements de la 40eme symphonie de Mozart, et de la 5eme symphonie de Beethoven).
Pour en revenir à C.Ph.E. Bach, son plus grand mérite a été d’employer de manière assez systématique le bithématisme dans ses sonates. Dans l’exemple ci dessous, apparaissent les notions d’exposition d’une idée à la tonique, une autre à la dominante, de développement et de réexposition, dans un esprit virtuose proche de certaines sonates de Scarlatti. Le compositeur y utilise notamment le style brisé que l’on peut entendre dans Solfegietto, l’une de ses pièces les plus célèbres.
L’entrée en scène d’un second thème dans les compositions musicales est une véritable avancée vers une musique plus proche des sentiments, de l’humain. En effet la rencontre entre deux thèmes aux caractères différents peut être assimilée à une rencontre entre deux personnages antagonistes, et cette opposition ne peut être que d’essence dramatique, ce dernier terme devant être considéré dans son sens large puisqu’il vient du latin « drama » qui signifie action. Il y a action, drame, lorsque sont mises en scène des forces contraires.
Sous l’influence de l’Empfinsamkeit, (le sentiment), qui sera le mot d’ordre des fils de Bach et de leurs contemporains, les musiciens vont ainsi chercher une musique plus sensible, et les compositeurs qui suivront, Haydn Mozart et Beethoven seront les héritiers directs de ce courant pré-classique de 1740.
A propos de la sonate
L’expression forme sonate montre à quel point ce genre est important dans l’histoire de la musique. La sonate apparaît en effet comme un creuset dans lequel vont se tenter nombre d’expériences, tant dans le domaine du jeu instrumental que dans celui de l’écriture. Ainsi va se répandre cette expression dans les autre domaines instrumentaux tels que symphonie et concerto.
Evolution de la sonate pour clavier
Il faut savoir que la sonate monothématique est pensée essentiellement durant la période baroque pour un violon accompagné par une basse continue. La sonate bithématique sera elle, surtout destinée au clavier. Curieusement, la sonate pour clavier va naître en France grâce à la vogue du violon. Au début du 17eme siècle se produira en effet en France un véritable engouement pour la sonate pour violon, sous l’influence de Corelli dont la renommée s’était répandue dans toute l’Europe. De très nombreux compositeurs vont ainsi écrire des sonates qu’il sera de bon ton d’accompagner au clavecin. Mais cette partie de clavecin va se trouver de plus en plus développée, grâce notamment à François Couperin et Jean Philippe Rameau. Jean Joseph de Mondoville va quant à lui donner en 1734 des Pièces de clavecin en sonate avec accompagnement de violon. Ainsi se trouve renversé un équilibre habituel, le violon passant ainsi au second plan. Voilà qui participera notamment au développement de la sonate pour clavier. (Bien des années plus tard, le violoniste Niccolo Paganini, également excellent guitariste publiera une sonate pour guitare avec accompagnement de violon, chose assez inhabituelle qui mérite d’être signalée).
La symphonie.
Les origines.
Il est difficile de cerner avec précision les origines du genre tant elles sont diverses. Bien avant la période classique, au XVIeme siècle, le terme sinfonia désigne toutes sortes de compositions musicales, instrumentales et même vocales. C’est au XVIIeme siècle que le terme ne va plus s’appliquer que dans le domaine instrumental, et pour des formations aux effectifs très variés. Les débuts de la symphonie sont donc à chercher dans des domaines tels que l’opéra, le concerto, la suite, ou la sonate.
Dès ses premiers opéras, Monteverdi utilise des épisodes purement instrumentaux qu’il nomme sinfonia. Ces épisodes peuvent être un interlude, une ouverture ou une ritournelle, et ils sont composés pour diverses formations.
Exemple : une sinfonia extraite de l’Orfeo.
Mais peu à peu, le terme de sinfonia va s’appliquer spécifiquement à l’ouverture des opéras, ce qui va permettre son épanouissement. Cette ouverture va adopter deux schémas distincts, l’ouverture à l’italienne et l’ouverture à la française.
Dans une ouverture à la française se succèdent deux parties, la première majestueuse avec prédominance de rythme pointé, la seconde plus légère et rapide, avec un style d’écriture en imitations. Peut survenir une troisième partie, rappel de la première.
Exemple : ouverture du Bourgeois Gentilhomme de Lully.
Une ouverture à l’italienne est à rapprocher d’un concerto en trois parties suivant le plan vif-lent-vif.
Exemple : une ouverture de Domenico Scarlatti. (Tolomeo ed Alessandro)
Par la suite, il fut fréquent qu’une ouverture d’opéra soit utilisée comme pièce indépendante, pour le concert, voire pour le culte, les compositeurs à cours de temps (et parfois d’idées) n’hésitant pas à se réemployer eux mêmes. Plusieurs sinfonie (pluriel de sinfonia) de Vivaldi portent ainsi le titre de l’opéra pour lequel elles ont été écrites, mais on sait qu’elle ont été régulièrement séparées du contexte qui les à vues naître.
Voici un exemple de sinfonia de Vivaldi, L’Incoranazione di Dario, suivant le plan vif-lent-vif de l’ouverture à l’italienne.
Tous ces éléments laissent entrevoir une certaine complexité dans les origines du genre symphonie. Mais on commence à comprendre comment il s’est extrait de son contexte de base pour atteindre les salles de concert.
Au seuil de la période classique, nous voyons donc la sinfonia qui commence à trouver son équilibre, avec trois mouvements qui la constituent, suivant le plan de l’ouverture à l’italienne et également des concerti pour soliste. Les compositeurs qui suivront ajouteront à ce plan un menuet en troisième place, ce qui portera à quatre le nombre des mouvements. Avec Beethoven, le menuet deviendra le scherzo. Ainsi peu à peu va se fixer le plan de la symphonie en quatre mouvements telle que nous avons l’habitude de la considérer de nos jours.
Entre 1715 et 1750 il va se composer un nombre immense de sinfonie. Peu à peu d’ailleurs, la nouvelle orthographe « symphonie » va remplacer l’ancienne. Tous les compositeurs d’Europe vont s’adonner à ce genre.
En Italie, deux maîtres se distinguent : Sammartini et Vivaldi, déjà évoqué plus haut. On peut également écouter Galuppi, Porpora, Pergolese, ce dernier concevant encore la sinfonia pour formation réduite. En France les compositeurs vont également beaucoup écrire pour l’orchestre, avec une certaine originalité. Voici par exemple comment Rebel peint le chaos originel dans son oeuvre « Les Elémens » en 1737.
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Il faut également écouter les symphonies de Mouret, à l’orchestration assez subtile donnant la part belle aux cuivres et bois.
En Autriche et en Allemagne également, de très nombreuses oeuvres orchestrales vont voir le jour. C’est à Mannheim que des symphonies seront exécutées avec une magnificence sans égale. En effet, la musique occupait dans cette ville dès 1743 une place très importante, sous l’influence du duc Charles Théodore, qui avait tout fait pour constituer un orchestre exceptionnel, dont la direction fut confiée à Stamitz, excellent violoniste et compositeur qui par ses symphonies a fini d’imposer les quatre mouvements, avec un allegro initial de forme sonate, un finale en rondo et un menuet intercalé entre le mouvement lent et le finale. C’est aussi à Mannheim que s’est fixé l’orchestre classique, avec quatuor très affirmé auquel se rajoutent bois, cuivres et percussions. Voici la symphonie intitulée « La chasse » de Stamitz.
On comprend à l’écoute de cette musique d’où viennent Haydn et Mozart. Si Haydn a pu être appelé « père de la symphonie », on constate qu’il n’en est rien, devancé qu’il a été par de très nombreux musiciens. Cependant il est certain qu’il a poussé le genre de la symphonie classique à un point extrême de perfection formelle. Comme Stamitz d’ailleurs, Haydn a composé une symphonie intitulée « La chasse ».
Il peut être intéressant de comparer brièvement ces deux pièces. Toutes deux comportent au début une introduction lente (procédé d’ailleurs assez cher à Haydn). Chez Stamitz perdure une partie de clavecin, celle ci ayant disparu avec Haydn. Passée l’introduction, le premier mouvement est basé sur un thème à prédominance rythmique. Enfin, chacune de ces deux oeuvres comporte un titre évocateur, les sonneries de chasse étant chez Haydn très évidentes dans le dernier mouvement. Il faut d’ailleurs savoir que ce finale est à l’origine l’ouverture de son opéra La fedelta premiata (la fidélité récompensée). Tout comme nombre de ses prédécesseurs, Haydn n’hésite donc pas à réintroduire dans une symphonie un matériau déjà existant.
Nous avons évoqué au début de cet article la synthèse entre forme sonate et symphonie. Comme il a été dit, cette forme est en général à la base des premiers mouvements de symphonies classiques et romantiques. En voici quelques exemples.
Le plus connu et souvent cité : la 5eme symphonie de Beethoven.
Voici tout d’abord le thème A, thème dit du destin.

Et le thème B, partagé entre les pupitres de violons, clarinette et flûte.

Bien entendu l’exemple est extrêmement connu et le citer n’a vraiment rien d’original. Il permet cependant d’appréhender très facilement cette notion de forme sonate qui peut parfois sembler un peu ardue pour des oreilles néophytes, ces deux thèmes possédant des caractéristiques bien différentes.
Il faut écouter le premier mouvement de cette symphonie en entier. L’exposition comme souvent, est dite deux fois. Lorsque Beethoven expose son thème B, il y rajoute sur la ligne de basse un rappel du thème A, comme un écho. Après l’exposition apparaîtra le développement. Seul le premier thème sera développé. Le second ne reviendra que lors de la réexposition. Il faut savoir que certains thèmes se prêtent au développement au contraire d’autres qui ne s’y prêtent pas. Ce qui est également intéressant dans cette exposition, c’est de voir à quel point les thèmes s’influencent mutuellement. En effet, tout le début, dans la tonalité de do mineur est d’un caractère farouche et tragique. Lorsque le thème B apparaît, en tonalité de mi bémol majeur (relatif de do mineur), la musique s’apaise. L’exposition de ce second thème sera suivie d’un retour au caractère très rythmique du début, mais en tonalité majeure, comme si le deuxième thème avait influencé le premier en lui conférant son apaisement. De tragique, la musique devient alors triomphale. Cet exemple peut illustrer cette idée de théâtralité dans la musique, due à la rencontre entre deux personnages musicaux antagonistes, comme cela a été évoqué plus haut. C’est la grande avancée en musique que l’on doit à l’élaboration puis à l’instauration de la forme sonate dans la musique instrumentale.
On ne peut parler de forme sonate sans évoquer Mozart. Voici une oeuvre que j’affectionne particulièrement : la 29eme symphonie en la majeur.
Le premier mouvement est basé sur les deux thèmes suivants :


Dans ce cas, le second thème est exposé dans le ton de la dominante de la, à savoir mi majeur. Comme il a été dit plus haut, il est extrêmement fréquent que les deux thèmes soient en rapport tonique-dominante.
Apparaîtra plus tard une troisième idée qui mènera à la réexposition. Le thème B sera alors donné non plus dans le ton de la dominante mais dans le ton de la majeur. Une réexposition n’est jamais textuelle bien entendu, car les thèmes doivent revenir mais enrichis par le développement dont ils ont fait l’objet auparavant.
Voici deux exemples assez parlants pour illustrer la forme sonate dans le domaine symphonique.
La symphonie est donc un genre extrêmement important de l’histoire de la musique, qui a puisé ses sources dans des origines très diverses pour rayonner durant les périodes classique et romantique. Les compositeurs de la fin du XIXeme et ceux du XXeme siècle vont également s’emparer du genre, ce qui donnera naissance à de véritables fresques sonores sous la plume inspirée de Gustav Mahler ou Dmitri Chostakovich, pour ne citer qu’eux. Cela fera l’objet d’une autre étude.