Lumière blanche, blafarde et inquiétante cependant. Nous sommes loin du caractère apaisé que l’on trouve dans le lever du Jour de Daphnis et Chloé, après l’ascension de l’orchestre. (Cet exemple est donné en annexe).
Nous verrons plus loin de quelle manière ce thème B apparaît à la fin du concerto pour la conclusion de l’oeuvre.
Au moment de l’apparition de ce thème B aux trompettes, les accords changent. Les bariolages par exemple donnent à entendre un balancement entre un accord de sol mineur avec 9eme ajoutée et un accord de la mineur. L’esprit est bien entendu toujours modal.
Une curiosité tout de même que ces arpèges en bariolages. Il est en effet rare d’en trouver dans les parties d’orchestre car ils sont en général réservés aux solistes. (On peut penser par exemple à la reprise du thème A à la fin de la cadence de soliste du premier mouvement du concerto de Mendelssohn). Les bariolages correspondent ici à la recherche d’une masse sonore.
A la fin de cette introduction nous nous retrouvons sur un accord en tutti. Accord de la avec quarte et septième mineure. Toujours sur basse mi. Les notes de cet accord seraient en fait l’accord en quartes mi la ré sol entendu au début de la pièce aux contrebasses (cordes à vide), et redistribué ici à tout l’orchestre.
A partir du chiffre 2, l’orchestre va se constituer peu à peu, grâce à un motif ascendant issu du thème A joué par les contrebasses 2 et le contrebasson, cependant que les contrebasses 1 continuent d’arpéger les accords en sextolets de doubles. Noter également l’entrée de la clarinette en la, qui va dans la page suivante reprendre le motif du contrebasson. Voici donc l’exposé du thème B aux cors et le début de la montée d’orchestre.
Ce même motif va être repris successivement et en ascension par les doublures suivantes : cors-altos, violons 2 clarinette, violons 1 ottavino.
L’aboutissement de cette ascension nous amène au chiffre 3 à une cellule répétitive joué aux violons 1, clarinettes et piccolo.
En soutient à ce motif, un mi joué par les contrebasses 2, la timbale, basson et contrebasson. Noter que toute l’introduction se déroule sur une pédale de mi, (second degré de la tonalité principale ré), cela jusqu’à l’entrée du piano.
Au chiffre 3 également, des bariolages joués par les violons 2 et les altos, sur l’accord de la majeur, (5eme de ré bien entendu), en balancement avec un accord de sol avec 9eme ajoutée. Il s’agirait pour l’échelle utilisée d’un mode de sol transposé sur la. (Mode Myxolydien).
Ces bariolages sont directement issus des sextolets de contrebasses du début, et ils sont initiés tous d’abord par les violoncelles puis les altos, quatre mesures avant le chiffre 3.
La montée vers le chiffre 3 va permettre de mener le thème B des ténèbres vers la lumière, de nouveau joué par les cuivres. Voici donc le motif obstiné en superposition avec ce thème B :
C’est donc avec une grande intelligence que Ravel conçoit sa musique. Ce thème B qui sera l’un des personnages principaux de tout le concerto va revêtir tout au long de l’oeuvre différents caractères, et cela dès le début.
« Dans une œuvre de cette nature, il est indispensable que la texture ne donne pas l’impression d’être plus mince que celle d’une partie écrite pour les deux mains. Aussi ai-je recouru à un style qui est bien plus proche de celui, volontiers imposant, des concertos traditionnels. Après une première partie empreinte de cet esprit apparaît un épisode dans le caractère d’une improvisation qui donne lieu à une musique de jazz. Ce n’est que par la suite qu’on se rendra compte que l’épisode en style jazz est construit, en réalité, sur les thèmes de la première partie. »
— Maurice Ravel, cité dans le Daily Telegraph du 11 juillet 1931
« À deux mains le chant et l’accompagnement se jouxtent, se juxtaposent, se pénètrent parfois, mais en conservant leur dualité d’origine; ici les deux émergent du même moule […]. Par ailleurs, c’est au pouce qu’est dévolu le rôle principal dans l’expression mélodique. Bien épaulé par le bloc des autres doigts, il va, par le jeu latéral du poignet et celui de sa musculature propre, s’imprimer profondément dans le clavier avec une qualité de pénétration qui n’est qu’à lui. »
— Marguerite Long, Au piano avec Maurice Ravel, Paris, 1971
« Tout ici est grandiose, monumental, à l’échelle des horizons flamboyants, des monstrueux holocaustes où se consument les corps et s’engloutit l’esprit, des vastes troupeaux humains grimaçant de souffrance et d’angoisse. Et cette fresque colossale, aux dimensions d’un univers calciné, ce sont les cinq doigts de la main senestre, reine des mauvais présages, qui vont en brosser les âpres reliefs. »
— Marguerite Long, Au piano avec Maurice Ravel, Paris, 1971
« Cela me prend toujours du temps d’entrer dans une musique difficile. Je suppose que Ravel en fut très déçu et j’en fus navré. Mais on ne m’a jamais appris à faire semblant. Ce n’est que plus tard, après avoir étudié le concerto pendant des mois, que je commençai à en être fasciné et que je réalisai de quelle grande œuvre il s’agissait. »
— Cité dans La musique pour piano de Maurice Ravel, New York, 1967. Paul Wittgenstein, dédicataire de l’oeuvre.
Le concerto pour la main gauche est considéré à juste titre comme l’une des oeuvres les plus marquantes du 20eme siècle. Il s’agit d’une musique tourmentée, mouvante, tout en contrastes qui allie la noirceur à une lumière souvent blafarde et qui correspond à une époque où le monde s’apprête à replonger dans le désastre, à l’orée des années 30. L’oeuvre est en effet composée entre 1929 et 1931. Il faut savoir que Ravel avait été profondément marqué par la guerre de 14-18 et cela s’est ressenti dans certaines de ses oeuvres dont ce concerto.
En plusieurs chapitres, sera tentée une analyse approfondie de cette œuvre, en fonction de son écriture, sa thématique, son orchestration et son caractère.
Tout va commencer dans les ténèbres de l’orchestre, par une sorte de magma sonore fait de notes tenues par les violoncelles et contrebasses 2 agrémentées d’un motif tournoyant en sextolets de doubles croches joué sur les cordes à vide par les contrebasses 1. Les notes importantes sont ici le mi, le la et le ré.
Survient alors sur la levée de la troisième mesure le premier thème. Joué par le contrebasson, ce thème d’une très grande beauté plastique s’étire sur six mesures, en insistant sur les rythmes pointés. Il est constitué d’une première période montant vers un point culminant (le fa dièse, suivi du sol à la mesure 4) au moyen d’une gamme brisée puis d’un arpège de l’accord de mi mineur, avant de rechuter dans l’extrême grave au chiffre 1 grâce à l’arpège sol mi si et à l’appui sur la note la pour remonter enfin grâce à un arpège de l’accord de do majeur. Il se termine sur la note si bémol. Henri Gill-Marchex a associé ce thème A à une lente sarabande, du fait de la mesure à trois temps et de son caractère de marche noble.
Les notes pivots de ce thème sont le mi (second degré de ré) et le la (5eme degré de ré). L’ascension vers le point culminant mesure 4 se fait sur un accord de mi mineur avec neuvième mi-sol-si-fa dièse. Le do de la mesure 6 serait à considérer comme une cadence V-VI (si-do) en tonalité de mi mineur. Ce do permet de monter sur un arpège de do 7eme de dominante do-mi-sol-si bémol. Cette dernière note du thème, le si bémol, est reprise par les cors en octaves parallèles, ce qui permet par une sorte de fondu enchaîné de faire entendre immédiatement un second thème, une mesure après le chiffre 1.
Ce second thème va amener un peu de couleur dans cette noirceur initiale, en un merveilleux passage qui pourrait évoquer la naissance d’un monde. Mais un monde quelque peu inquiétant. La suite de l’oeuvre confirmera cette inquiétude ici sous-jacente. Cette seconde idée réapparaîtra tout au long de l’oeuvre sous différents visages, mais inchangée mélodiquement. Elle pourrait se rapprocher de l’idée fixe que l’on trouve dans la Symphonie Fantastique d’Hector Berlioz. Le premier thème nous le verrons sera utilisé dans les moments où la musique monte vers un climax.
La fin de cette fugue est marquée par un caractère très dynamique donné par des batteries de doubles croches, véritable machine rythmique qui soutient mes 110 l’apparition du miroir de S en strettes. Cela est suivi d’une phrase ascendante issue de C, jouée en octaves parallèles par les deux pupitres de violons.
Les cinq dernières mesures donnent à entendre le sujet aux basses et altos un peu transformé ainsi que son inverse en strettes joué par les violons en octaves.
C’est dans les dernières mesures que l’on peut mesurer de manière très évidente la différence fondamentale entre langage classique et langage baroque. De 106 à 119, nous entendons une musique dans laquelle le caractère spéculatif semble soudain mis de coté au profit d’une écriture essentiellement dramatique. Deux exemples peuvent illustrer ce propos : les deux pupitres de violons en octaves, inconcevables dans l’esthétique de Bach, qui exposent d’ailleurs de manière ascendante le conséquent du sujet, et ces batteries de doubles croches, qui entraînent de manière irrésistible la pièce vers l’accord final.
Voici la partition de la fin de la pièce. Y sont précisées les entrées des différentes voix ainsi que les éléments du discours.
Mozart semble à la fin revendiquer les apports de l’écriture classique.
En recherchant l’effet produit, en terminant sa pièce de manière extrêmement théâtrale et en couplant les instruments en octaves, ce qui doit être considéré plus comme un effet orchestral qu’une recherche sur l’écriture, le compositeur est plus proche de l’opéra que de l’Art de la fugue ou de l’Offrande musicale, ces deux oeuvres spéculatives du maître Bach. Mozart mélange ici la science de l’écriture contrapuntique, qu’il maîtrise parfaitement à l’expression du sentiment dramatique, renforcé d’ailleurs par la tonalité de do mineur.
Quelques mesures suffisent donc à apprécier la différence de langage entre deux compositeurs, à la fois proches dans l’histoire de la musique et loin dans leur conception de l’écriture. La fugue est un ici bon creuset pour constater ce changement de style. Ce procédé de composition perdure à travers les époques. Ce sont les styles qui évoluent à travers lui.
C’est à la mesure 73 que se trouvent superposés de manière symétrique le sujet et son inverse. Par rapport au nombre global de mesures de cette fugue (119), ce passage correspond au nombre d’or. (119 divisé par 1,618 égale en effet 73,5). Il n’est pas exclu que ce fait soit une réelle volonté du compositeur, surtout quand on connaît l’aspect spéculatif de l’écriture fuguée, ainsi que la fascination de Mozart pour les nombres.
Cette superposition de S et son inverse va être contrepointée par les basses et altos sur le motif B du CS. Les deux motifs sont de nouveau superposés en fa mes 77 aux basses et altos en contrepoint avec les deux pupitres de violons sur un autre élément issu du CS. (Mes 79-80). Idem en fa puis en la bémol.
Ceci va mener mes 82 à un passage complexe dans lequel Mozart expose S et son inverse, dans la tonalité de fa aux deux pupitres de violons ceci en contrepoint avec le contresujet aux basses. La suite donne à entendre le sujet et son inverse en sol présenté en strettes.
Puis réapparaît le sujet aux basses, immédiatement suivi d’une réponse en sol au violon 1 puis à l’alto.
Mes 99 : bref divertissement sur des phrases ascendantes et descendantes en doubles croches mêlées au motif du CS et qui amène logiquement mes 103 à la dernière exposition de l’antécédent de S en strettes mêlé au motif rythmique du CS.
Mes 44 et suivantes.
Très beau passage basé sur le sujet exposé en strettes dans les tonalités éloignées de ré bémol puis mi bémol mineur mes 47 et 48. Les V2 se prennent au jeu mes 47 et réalisent une troisième entrée en strettes. On ne peut ici qu’admirer la science contrapuntique de Mozart, dans ce passage qui pourrait rappeler certains moments de la symphonie « Jupiter ».
C’est à partir de la mes 51 que Mozart va commencer à mêler le sujet et son miroir avec comme aboutissement la mes 73 où les deux éléments se trouvent superposés de manière totalement symétrique.
Mes 51 : le sujet textuel se trouve suivi de son miroir en sol aux V1 mes 53. Ce passage est très surprenant du point de vue de l’harmonie du fait des fausses relations engendrées par la superposition des voix. (Fa dièse fa bécarre mes 53 et 54 par exemple).
Noter dans ce passage l’importance de l’élément rythmique en notés répétées de C qui va se retrouver exposé à toutes les voix.
Mes 57 et 58 : les entrées se resserrent entre S et son miroir entre V2 et altos. Les éléments sont ici imbriqués de manière inextricable dans le ton de fa mineur avec emprunt à si bémol par le la bécarre. (a revoir) puis emprunt à sol et retour à do par le si bécarre.
Mes 62 à 72. Pas de sujet mais un passage qui va donner la part belle aux éléments du contre-sujet et au motif descendant du conséquent du thème. Mozart mélange ces deux éléments en les faisant passer à toutes les voix, dans un contexte global de tonalité instable.
Il faut aussi noter l’importance de la mesure 13, mesure ajoutée par rapport à l’entrée des voix, et dans laquelle Mozart adopte une tournure mélodique chromatique avec mi bécarre et mi bémol qui se résout sur la note ré, quinte par rapport au sol joué par les bases, et qui renforce le caractère assez théâtral de la nouvelle entrée du sujet aux basses.
Mesures 17 à 19, on trouve un bref divertissement dans lequel semble pointer un hommage aux maîtres baroques. L’écriture peut en effet se rapprocher de certaines pages de Bach ou de Vivaldi.
Mesures 19 à 35.
On entend ici plusieurs apparitions du sujet exposé de manière modifiée. Tout d’abord, il se trouve décalé de deux temps (temps 3 et 4 et non plus 1 et 2). Mais surtout, il va être exposé dans différentes tonalités. Ce passage modulant est d’ailleurs extrêmement surprenant.
Mes 19, le sujet est donné en mi bémol majeur. Mes 22 il est donné en fa mineur aux violons 1. On remarque ici la présence de fausses relations d’octaves entre le la bécarre des violons 1 et le la bémol des basses. Mes 25, le sujet est donné en sol mineur aux violons 2. Mes 30 il est donné en la bémol aux basses. Enfin il est donné en si bémol mes 32 aux altos. Il est intéressant de remarquer que cette suite de modulations constitue en fait une gamme ascendante conjointe. (Mib fa sol lab sib) qui trouve son aboutissement logique mes 35 avec l’exposition du miroir du thème joué par les violons 1 dans la tonalité d’ut mineur. Cet élément nouveau est d’autre part exposé en strettes entre les V1 et les altos mes 36. On le retrouve un peu plus loin dans le ton de sol (mes 39 et 40) en strettes également entre les basses et les V2.
Il faut remarquer aussi dans les mesures 19 à 35 la part belle qui est donnée aux éléments du contre-sujet ainsi qu’au motif descendant en appogiatures de C, ce dernier se trouvant particulièrement développé mes 26 et suivantes.
Analyse de la fugue.
Legende :
-S : sujet
-CS : contre-sujet
-A : antécédent
-C : conséquent
-V1 : violon 1
-V2 : violon 2
Le sujet. (S)
Constitué de deux périodes, un antécédent (A) et un conséquent (C).
A : de caractère rythmique fortement marqué, A débute sur une quinte descendante sol do immédiatement contrecarrée par un mouvement conjoint ascendant de quatre doubles croches et suivi d’un saut de septième diminuée descendante. Les notes pivots sont essentiellement la tonique do et la note sensible, si bécarre. Commencer sur la dominante sol et finir sur la sensible confère à cette phrase un aspect particulièrement ouvert, propice au développement.
C : phrase descendante basée sur les notes conjointes de la gamme la bémol, sol, fa, mi bémol, ré et do, chaque note étant précédée d’une appogiature au demi ton inférieur. Deux demi-soupirs ponctuent cette phrase de deux contretemps.
Globalement A est une phrase qui donne la part belle aux grands intervalles disjoints, alors que C est une phrase plutôt conjointe. Pendant ces quatre mesures, Mozart nous donne donc un thème déjà tout en contraste, un concentré d’expression musicale qui va s’épanouir de manière extraordinaire lors du développement de la fugue.
Pour ce qui concerne l’instrumentation, Mozart confie tout d’abord le thème aux basses, ce qui rajoute à son caractère fortement marqué. La réponse est donnée par les altos. Transposée bien entendu, elle démarre par le premier degré do avec un emprunt à la dominante sol par le fa dièse. Les quatre doubles croches font entendre la gamme mineure mélodique ascendante.
Lors de la réponse survient aux basses un contre-sujet auquel Mozart donnera une grande importance lors du développement. On trouvera en effet lors de ce développement l’élément constitué de trois croches précédées d’un demi soupir et suivies du rythme noire pointée deux doubles, cellule essentiellement rythmique puisque basée sur une note répétée suivie d’une broderie au demi ton. Il sera aisé de remarquer ce motif à chacune de ses apparitions.
Le contre-sujet (CS) réapparaît à chaque entrée au début de l’œuvre plus ou moins modifié en fonction des obligations harmoniques et rythmiques. Mesure 9, les altos jouent en effet une syncope, laquelle se retrouve aux violons 1 mesure 16 alors que les basses jouent le sujet, un peu comme si le compositeur avait imaginé l’entrée d’une cinquième voix. Cette apparition du sujet est d’ailleurs préparée aux basses par deux mesures de silence, ce qui lui confère un coté particulièrement dynamique.
Dans ces quelques mesures vont se superposer des plans sonores bien distincts :
-Le dialogue alto-violon 1 sur le motif en broderies.
-La basse chromatique déjà citée.
-La ligne mélodique de violon 2 sur des notes tenues, des arpèges et des intervalles de quintes ascendantes.
Mesure24 à 27 on retrouve donc le début mais transposé en sol mineur, et cela sans aucune modification mélodique.
Aux mesures 28 et suivantes, l’on va retrouver une harmonie modulante tendue avec tout d’abord le motif en broderies qui va passer successivement aux pupitres d’alto, de violon 2 et de violon 1. Par une enharmonie sol bémol fa dièse, Mozart nous mène mesure 31 à l’accord « dom de dom » à savoir un accord de ré septième de dominante qui se résout logiquement mesure 33 sur un accord de sol septième de dominante. Remarquer mesure 32 la gamme descendante de sol mineur (si bémol et mi bémol) qui est un écho à la gamme descendante de ré bémol de la mesure 16, et qui par la présence du si bémol rend d’autant plus surprenant l’accord avec si bécarre de la mesure 32.
Les mesures 35 à 38 donnent à réentendre sans réelle modification les mesures 9 à 12.
Pour la fin de l’adagio, Mozart donne à réentendre de manière modifiée les mesures de 28 à 30. Le motif en broderies passe des basses aux violons 2 puis aux violons 1. Sur une pédale de mi bécarre donnée mesure 41 l’on va retrouver un terrain harmonique modulant avec passage au ton éloigné de la mineur, puis fa mineur. Les plans sonores sont ici outre la pédale harmonique, les violons 1 en appogiatures ou retards, les violons 2 et altos sur une variante du motif en broderies de la mesure 5.
Des mesures 46 à 52 arrive la coda de ce passage qui va mener à la tonalité de sol majeur et qui introduit logiquement la fugue qui suit.
Œuvre dont la composition s’échelonne entre 1783 et 1788. En effet, en 1783 Mozart écrit pour deux pianos une fugue qu’il transcrit en 1788 pour cordes en lui adjoignant un adagio d’introduction.
Il s’agit d’une œuvre assez étonnante et que l’on peut rapprocher de certaines pages telles que la très fameuse introduction du quatuor « les Dissonances » où même du point de vue de l’harmonie de certaines scènes de l’opéra Don Giovanni. La tonalité de do mineur est en effet utilisée par Mozart dans des moments d’extrême tension (scène du Commandeur) ou de douleur (l’air chantée par Donna Anna dans le septuor du deuxième acte, « Lascia lascia a la mia pena »). L’adagio qui sert d’introduction correspond à ce que Mozart a pu écrire de plus tragique. La fugue, elle, étonne toujours par l’âpreté des dissonances qu’elle donne à entendre, et par l’extrême maîtrise dont Mozart fait preuve dans la combinaison des voix.
L’analyse de cette partition est tout à fait passionnante pour ces différentes raisons.
Analyse.
Adagio.
Sur un rythme à la française, Mozart va ouvrir cette œuvre dans la douloureuse tonalité de do mineur. Les quatre premières mesures donnent à entendre les deux pupitres de violons et les altos homorythmiques, cependant que les violoncelles et contrebasses après avoir donné la tonique du passage sur le premier temps donnent une réponse sur les temps 2 et 3 de la mesure. Ce contrepoint mène à la mesure 4 à une modulation sur le 4eme degré (Fa mineur) qui par une cadence plagale revient sur l’accord de do.
Les renversements utilisés : exemple ci-joint.
Les quatre mesures qui suivent font apparaître un nouveau motif en broderies que l’on retrouvera tout au long du passage et qui est donné par le violon 1. Sur un rythme pointé et sur l’intervalle de demi- ton ré bémol do. Ce motif donne lieu à la mesure 6 à une accord de sixte napolitaine sur des batteries lentes de croches qui mène logiquement mesure 7 à l’accord de dominante sol en renversement +4 suivi dans cette même mesure d’une résolution sur do en sixte et de nouveau sol mais cette fois en sixte. La mesure 8 fait entendre une demi – cadence avec emprunt par le fa dièse à la tonalité de sol. Tout ceci est bien entendu très classique, mais la suite va donner lieu à des audaces harmoniques tout à fait remarquables.
Les mesures suivantes (9 à 12) reprennent le début mais en le modifiant quelque peu puisque Mozart fait passer la ligne mélodique des violons du début sur le pupitre des basses, dans l’esprit d’une écriture contrapuntique renversable. Ceci induit cependant un changement dans les autres lignes. Noter en particulier les violons 1 sur le motif ascendant sol la bécarre si bécarre do issu de la gamme mineure mélodique. Nous trouvons de nouveau entre les mesures 11 et 12 la modulation en fa mineur mais les accords sont présentés différemment. (mesures 3 et 4 6 5 barré (, ici +4 6). Mais surtout, le dernier accord de la mesure 12 est un accord de 7eme de dominante de fa (do) présenté en renversement +6, et qui mène logiquement à la suite.
A la mesure 13 réapparaît mais cette fois ci aux basses et sur les notes fa mi bécarre le motif en broderies qui mène de nouveau mesure 14 à une sixte napolitaine. Mais cette fois la sixte va se résoudre mesure 15 sur un accord de second degré de ré bémol, le motif en broderies joué au violon 1 jouant ainsi un rôle d’appogiature du fa grâce au sol bémol. Tout le génie harmonique de Mozart va ainsi s’épanouir dans ce passage modulant sur une ligne chromatique de basses, des mesures 16 à 22, en en une succession d’accords de tension qui va trouver son aboutissement aux mesures 23 et 24, alors que le thème du début se trouve réexposé dans la tonalité de sol mineur.