Cette analyse tient en un assez grand nombre d’articles dont le dernier date du 18 novembre et le premier du 30 septembre. Il y a en tout quinze articles plus une annexe. Lorsque l’on ouvre la page, on tombe sur l’annexe. Pour pouvoir suivre l’analyse, il faut donc remonter le temps, le premier article apparaissant étant en fait le dernier édité.
Il est important aussi si l’on veut bien suivre de se procurer la partition de l’oeuvre aux éditions Durand. En effet, les repères utilisés ici sont les chiffres figurant sur cette partition.
Nous arrivons au terme de cette étude. En annexe, voici quelques exemples tirés d’autres pièces musicales, de Ravel ou pas, qui peuvent être mises en parallèle avec ce que nous avons pu constater dans ce concerto. Il va de soi qu’il est impossible de réaliser une liste exhaustive. Cet article risque d’ailleurs de s’enrichir au fil du temps, suivant des idées d’exemples qui pourraient venir à l’esprit. Chacun peut bien entendu avoir ses propres exemples.
Tout d’abord, pour ce qui concerne le basson. Nous avons parlé du timbre volontiers clownesque de l’instrument. Voici l’exemple cité extrait de la Symphonie Fantastique de Berlioz. Ici, le basson accompagne par des arpèges rapides une évocation grotesque de l’idée fixe représentant la femme aimée alors que celle ci, dans le délire de l’artiste, se joint aux sorcières pour le Sabbat. Nous sommes au début du cinquième mouvement de cette oeuvre célébrissime.
C’est une véritable trouvaille orchestrale. Les arpèges de basson servent ici à renforcer le caractère grimaçant de l’idée fixe jouée par la clarinette en mi bémol avec ses appogiatures et ses trilles.
Pour illustrer le timbre du basson, il faut également écouter, comme il a été dit plus haut, le début du troisième mouvement de la quatrième symphonie de Dimitri Chostakovich. Ecouter également les six bagatelles pour quintette à vent de Ligeti, dont l’ensemble Carion a laissé une interprétation remarquable avec mise en scène. La première de ces six miniatures se termine par une note de basson absolument irrésistible.
Pour ce qui concerne la note bleue chez Ravel, un exemple s’impose, tiré du frère jumeau du concerto étudié, le concerto en sol. (Jumeau pour ce qui concerne la date de création).
Ravel ironisait quant à ce concerto en le déclarant « celui qui n’est pas écrit pour la main droite seule ».
Le premier mouvement, de forme sonate, comporte trois thèmes. En voici le deuxième.
Ce thème, qui n’est pas sans évoquer George Gershwin, est bien entendu directement inspiré du blues, le la naturel de la main droite étant à considérer comme une note bleue, la main gauche jouant un la dièse, sur un accord de fa dièse majeur.
Deux autres exemples sont intéressants à citer. Ils sont issus de la sonate pour violon et violoncelle, l’une des oeuvres les plus vertigineuses de Ravel. Ici par contre pas d’esprit jazz, mais des passages donnant à entendre une alternance majeur-mineur.
Voici pour le premier mouvement de cette sonate:
Et voici pour l’extraordinaire scherzo, qui dans son esprit peut rappeler le passage central du concerto pour la main gauche.
En écoutant ce scherzo, on apprécie l’humour grinçant typiquement ravélien qui émane de ces pages truffées de pizzicati, de tremolos et de contrastes très marqués. Ici Ravel nous donne à entendre une musique rude, loin de tout chatoiement impressionniste et dans laquelle la dissonance est reine.
Le compositeur aimait particulièrement sa sonate en duo. Il prétendait que c’était l’oeuvre qui lui ressemblait le plus.
Pour citer un autre compositeur, on trouve également cette alternance majeur-mineur dans le scherzo du quatuor de Debussy, dans ce motif obstiné joué par l’alto.
L’influence qu’a eu le jazz dans la musique occidentale dite savante ne se limite bien entendu pas à Ravel. On peut par exemple écouter « Ebony Concerto » de Stravinsky, ou « La Création du monde » de Darius Milhaud pour ne citer que deux exemples fameux. George Gershwin ou William Grant Still réalisent eux aussi un mariage particulièrement réussi entre jazz et écriture symphonique. Ravel et Gershwin se connaissaient d’ailleurs très bien.
Pour ce qui concerne les fausses relations d’octaves que l’on trouve dans la partie jazz lorsque les violons entonnent le thème B, il existe dans l’oeuvre de Ravel d’autres exemples.
Voici de nouveau le concerto en sol, dans ce fameux second mouvement où le piano, après l’entrée de l’orchestre entame la partie B:
Voici maintenant un exemple tiré de L’Enfant et les sortilèges, lorsque chantent pastourelles et pastoureaux.
Avec de telles dissonances Ravel fait oublier l’esprit folklorique de cette mélodie pour la faire entrer pleinement dans l’histoire quelque peu cauchemardesque de sa fantaisie lyrique.
Au début de l’étude a été évoqué le Lever du jour extrait de Daphnis et Chloé. Il est vrai que dans sa conception, celui ci reste assez ressemblant au début du concerto. De la même manière en effet, la musique commence dans les ténèbres de l’orchestre pour s’acheminer vers la lumière. Voici la partition et l’exemple audio de ce moment extrêmement célèbre. L’orchestre a effectué son ascension en crescendo, et alors que la clarté est apparue, nous entendons ceci:
Alors que dans le concerto pour la main gauche, la lumière qui succède au crescendo est blafarde, ici elle reflète l’apaisement et pourrait se rapprocher d’un tableau impressionniste, ou même d’un tableau de Nicolas Poussin. (Par exemple les Quatre Saisons). Pour l’orchestration, il faut remarquer ici le très bel alliage entre la clarinette et les altos sur le thème principal, en contrepoint avec un autre motif joué par la doublure violoncelles-clarinette basse.
Nous avons parlé dans le passage « boîte à musique » de la doublure entre harpe et flûte piccolo. Cette doublure allie le timbre aérien de la flûte aux attaques très précises de la harpe. On trouve un effet similaire dans la pièce intitulée « Nuages » de Debussy. Ici la harpe est en doublure avec la flûte traversière.
Debussy utilise d’ailleurs ici une gamme pentatonique.
Après cette ultime ascension en palier du thème A, l’orchestre se reconstitue peu à peu.
Alors que le piano solo entonne le thème B, les bois, eux, se répondent par un motif issu du thème A : clarinettes, cor anglais, hautbois et flûtes. Le basson, lui, entonne le thème B en doublant le piano. Il est ensuite relayé par les cors.
C’est la première fois que les deux thèmes se trouvent superposés de la sorte.
Voici ensuite la partie de piano seule.
Durant cette fin, les cordes jouent sur un accord de sol majeur en notes tenues. Cette accord va se résoudre en un enchaînement plagal sur l’accord de ré majeur qui sert à conclure l’oeuvre. Voici le piano et les cordes ensemble.
Il est intéressant de noter de quelle manière le thème B est ici utilisé. Il sert en fait à conclure le concerto. Au début, alors qu’il était repris par les trompettes, il se terminait par l’accord ouvert mi la ré sol.
Pour rappel
Or ici il se termine sur la tonique ré. Autrement dit, lorsque Ravel donne son thème au début de l’oeuvre, il sait déjà de quelle manière il va terminer. Ce fameux thème B (que certains appellent à juste titre « idée fixe »), va posséder tout au long du concerto différents visages dont chacun lui confère un caractère différent. Il faut dire aussi que ce thème est répété et non développé. En effet, à chacune de ses apparitions, la tournure mélodique est la même. Le thème A, lui, sert en général à l’élaboration des montées vers les points culminants de l’oeuvre, et il est davantage varié du point de vue mélodique. .
Enfin, en guise de conclusion, Ravel donne un dernier aperçu du jazz, en une brève coda dans laquelle la musique semble prendre un dernier essor, un ultime élan.
Le dernier mode utilisé sera le mode de mi, par cette gamme descendante immédiatement contrecarrée par un arpège ascendant de l’accord de ré majeur joué par les clarinettes soutenues par les trombones et tuba.
Dans cette dernière cadence vont se trouver récapitulés les trois thèmes principaux du concerto. Elle débute par des arpèges identiques à ceux joués au début de l’oeuvre par les contrebasses alors qu’apparaissait le thème B aux cors. Arpèges de l’accord parfait de do majeur en renversement de sixte (basse mi). Puis survient, joué au pouce, le thème B. Sur les notes pivot si bémol, sol ré et fa, ce thème se développe dans le registre grave soutenu par un accompagnement qui continue en accord arpégés. La tonalité se situerait entre do fa et ré mineur, cette dernière étant particulièrement claire à la fin grâce à l’apparition du do dièse. Ce do dièse est immédiatement contrecarré dans la mesure suivante par un do bécarre qui permet de de passer en la mineur.
Après ce passage, le piano va donc effectuer une ascension vers le registre aigu par des arpèges de plus en plus resserrés qui mènent au thème C.
Musique de funambule, dans laquelle cette voix du troisième thème résonne, loin de tout, sur les hauteurs, soutenue par des arpèges d’accords parfaits à l’éclairage céleste. Vers le milieu survient une seconde voix, qui s’unit par son contrepoint à la voix principale, cependant que continue entre les deux l’accompagnement en arpèges.
Voici le passage en partition et en exemple audio. Pour pouvoir écouter les harmonies, les accords sont ici plaqués. Il suffit ensuite d’écouter la version originale.
On peut remarquer dans ce merveilleux passage la part belle donnée aux accords parfaits, ainsi qu’à l’alternance entre majeur et mineur, le tout dans une couleur modale. La fin de l’exposé de ce thème se situe dans la tonalité de mi majeur.
Une mesure de descente vers le registre grave permet à Ravel d’enchaîner avec le thème A qui va se trouver repris par paliers ascendants successifs rappelant le passage orchestral qui précédait le jazz, avant le chiffre 14.
La virtuosité est ici de mise, le thème étant accompagné de véritables cascades de notes en arpèges, ceci jusqu’à la fin de l’oeuvre.
Le dernier chapitre traitera de la réapparition de l’orchestre et de la fin du concerto pour la main gauche.
Après ce moment d’une rare intensité, c’est le retour au calme. Le basson puis le cor vont reprendre à leur compte les motif de style improvisé que jouait le piano au début. Le dialogue entre les deux instruments va se trouver entrecoupé par la descente en accords parallèles du piano, l’une des bases de tout le passage, à laquelle le trombone répond en un glissando à l’humour typiquement ravélien.
Pendant ce temps, l’ostinato sur l’accord de si poursuit sa marche inexorable, joué tout d’abord par les altos, violoncelles et contrebasses, auxquels se rajoutent ensuite les bassons, cors et trombones.
Voici la totalité du passage en document audio.
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C’est au chiffre 41 que Ravel va rompre avec le système instauré par le jazz. Sans aucune transition, contrairement à sa première apparition, resurgit la boîte à musique. Elle est jouée par les clarinettes, les cordes en pizz et le piano en arpèges, puis passe aux flûtes au chiffre 42. Moment dont la légèreté contraste totalement avec ce qui a précédé. C’est par ce procédé que le jazz prendra fin.
De 43 à 46 nous trouvons un passage de transition joué par le piano en accords brisés soutenu par les cordes en pizz. L’harmonie donne ici la part belle aux accords de septième majeure, avec une montée vers le registre aigu.
Voici pour écouter:
-Le piano seul.
-Les cordes.
-La totalité du passage.
Cette transition mène au chiffre 46 à un tutti, sorte de chant de triomphe qui reprend le second motif de la première cadence de piano (variante du thème A). Encore une fois la musique va donner lieu à une ascension vers un climax, celui du chiffre 49.
Puis tout s’écroule. Comme un château de cartes patiemment empilé, l’orchestre semble s’effondrer par des phrases en sextolets de triples croches qui partent du registre suraigu pour s’acheminer vers l’extrême grave. Cette chute rappelle la cascade de notes qui concluait la première cadence de piano.
Pour rappel :
Et pour comparaison, voici les premières notes de la chute d’orchestre, aux cordes.
Ces notes ‘acheminent peu à peu vers des accords arpégés de do majeur joués par les contrebasses en sextolets de doubles, que l’on doit considérer comme un rappel du début de l’oeuvre. Le piano s’approprie alors au chiffre 50 ces sextolets pour entamer sa dernière cadence qui sera une récapitulation des principaux éléments thématique. Cette cadence fera l’objet du prochain chapitre.
Suite burlesque pour piano, basson et clarinette en si bémol de Pascal Enzo Rabatti.
La composition de cette suite s’étale sur deux ans. Trois des morceaux sont régulièrement joués comme intermèdes instrumentaux dans le cadre des concerts de l’ensemble « Les Tournedos Rossignols ». Il s’agit de l’Ouverture Tragique, de la Valse inquiétante et de l’Humoresque. La partie de basson est alors jouée à la clarinette basse. Il existe en effet deux versions de cette suite dont l’une remplace le basson par la clarinette basse.
Les deux pièces intitulées « Valse lointaine » et « Fantaisie polytonale d’après le lied Die Forelle de Schubert » n’ont pas encore été jouées en public.
L’Ouverture tragique, de forme ABA’, est une pièce de caractère très dynamique qui pourrait dans son style se rapprocher d’un certain cinéma italien des années 60. Elle est écrite en tonalité de fa mineur, avec une partie de piano parfois assez dissonante. Mélodie accompagnée et écriture concertante se côtoient dans cette pièce qui remporte en général l’adhésion lorsqu’elle est jouée en public du fait de sa parenté avec des musiques populaires très parlantes. C’est une bonne pièce pour une entrée en matière immédiate. C’est la raison pour laquelle elle sert d’ouverture à un spectacle dédié à la chanson comique française.
En voici un extrait en partition et en document audio.
La Valse inquiétante est une miniature d’une minute quarante qui met en avant le dialogue entre les deux instruments à vent soutenu par des harmonies au clavier. Elle se termine par une sorte de cadence parfaite dissonante qui en résume l’esprit général. En voici un extrait de la partition ainsi que son intégralité en document audio.
Humoresque est également une miniature musicale. Le son cocasse du basson doit ici bien être mis en évidence en appuyant particulièrement sur le registre grave de l’instrument.
Voici également un extrait de la partition accompagné d’un document audio.
La Valse lointaine est une pièce très mélodique écrite sur des harmonies jazzy. Un piano en ostinato soutient le thème qui se développe aux deux instruments à vent.
La fantaisie est la dernière œuvre de la suite, et la plus élaborée harmoniquement et mélodiquement. Il s’agit d’une pièce de caractère humoristique dont la partie de piano est directement inspirée du célèbre lied de Schubert « Die Forelle » (ou « La truite »). La mélodie principale est donnée au début par le basson, relayé par la clarinette. La suite du morceau développe ce thème. L’écriture est dans l’ensemble assez dissonante, dans l’esprit d’une fantaisie polytonale.
Si des instrumentistes sont intéressés par cette suite, qu’ils n’hésitent pas à le faire savoir par le biais de ce blog.
Nous arrivons au chiffre 35. En un rugissement, les violons 1 et 2 prennent le thème B. Ils sont divisés en deux fois trois parties, les violons 2 se situant une octave au dessous des violons 1. Il en sera de même pour les deux expositions de ce thème, jusqu’au chiffre 37.
Le langage est ici extrêmement dissonant et il va mêler en un tout démoniaque un grand nombre de plans sonores dont voici les exemples.
Pour commencer, l’élément qui apporte la stabilité, l’ostinato.
Il est tout d’abord joué par les violoncelle bassons et clarinettes dans le ton de do. Au chiffre 36, il passe en la, cinquième degré de ré.
Au chiffre 37, l’ostinato s’alourdit. Il est alors joué par les contrebasses, violoncelles, altos, tuba, trombones contrebasson, basson, clarinettes. Nous sommes alors en tonalité de ré avant de passer sur si, cinquième degré de mi chiffre 38.
Voici maintenant le thème B, alors qu’il est joué pour la première fois par les violons, puis repris par les bois (flûtes et hautbois) au chiffre 36 :
Le revoici au chiffre 37 aux violons, clarinette en mi bémol, cor anglais, hautbois et flûtes. (A 38 se rajoute un arpège dont nous reparlerons par la suite).
Dans ces deux exemples on remarque les fausses relations d’octaves qui participent au caractère extrêmement dissonant de l’ensemble. En effet, se trouvent superposés mi bémol et mi naturel, ré bécarre et ré dièse, do bécarre et do dièse, etc.. En annexe seront donnés d’autres exemples tirés de la musique de Ravel qui illustrent le goût du compositeur pour ce procédé, que l’on peut en effet retrouver dans d’autres oeuvres telles que le concerto en sol ou l’Enfant et les sortilèges.
Au chiffre 37, trompettes et trombones entament un dialogue sur le motif jazz, en gamme bartok de ré.
Voici ensuite le piano soliste sur la totalité du passage, soutenu par les différents motifs.
Au chiffre 38, piano clarinette en mi bémol et harpe entament une série d’arpèges descendants et ascendants basés sur les notes de l’accord de si septième de dominante en mi (ré dièse, fa dièse, la).
Voici enfin la totalité du passage. Tout d’abord, de 35 à 36 inclus.
Ensuite le passage de 37 à 38 inclus.
Moment de paroxysme, qui mérite que l’on s’y attarde pour constater de quelle manière Ravel assemble ses éléments de manière à laisser de côté les principes fondamentaux du concerto pour soliste et orchestre. En effet il n’y a pas ici de dialogue entre les deux, le piano soliste n’est pas le meneur du jeu tant il est partie intégrante de l’ensemble. A ce moment de l’oeuvre, il n’y a plus d’individualité, soliste et orchestre se trouvant fondus dans la même masse sonore.