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Suite du chapitre 9.
Au chiffre 28 survient donc l’entrée du basson solo sur le thème B.
(Lors du chapitre conclusif, nous verrons de quelles manières ce thème B est utilisé aux différents moments de l’œuvre pour devenir un personnage aux multiples visages).
Ici, ce second thème évoque le blues et nous donne la solution : tout ce que l’on a entendu dans la première partie jazz est en fait une variation de ce thème B. Il commence ici sur le mi bémol, autrement dit la tierce mineure de l’accord de do, tandis que l’accompagnement donne à entendre la tierce majeure avec le mi bécarre. Voici le plus bel exemple de blue note que l’on puisse trouver dans le Concerto pour la main gauche. D’un point de vue rythmique, ce thème est écrit en mesure à 2 4 sur un accompagnement en 6 8, avec omniprésence de contretemps, ce qui va rajouter une couleur « jazzy » à l’ensemble.
Voici tout d’abord l’ostinato en ut:
Et le thème joué par le basson solo.
L’utilisation du basson n’est pas anodine, car Ravel recherche ici un timbre bien particulier, sérieux et cocasse à la fois. Le basson peut en effet posséder ce double caractère.
Dans son traité d’orchestration, Hector Berlioz définit ainsi l’instrument :
« Le basson possède une propension au grotesque dont il faut toujours se garder quand on le met en évidence ».
C’est ainsi qu’il l’utilisera dans les arpèges qui accompagnent l’idée fixe grimaçante dans le dernier mouvement de la Symphonie Fantastique.
Dans le troisième mouvement de sa quatrième symphonie, Dimitri Chostakovich débute avec un solo de basson à la fois humoristique et inquiétant, exemple de mélodie à double tranchant bien typique de son style.
Quoiqu’il en soit, l’utilisation du basson en tant que soliste au sein de l’orchestre est toujours le résultat d’une recherche bien spécifique sur le timbre.
Autre paradoxe qui mérite d’être signalé : le basson est un instrument qui est peu utilisé dans le jazz. (Quelques musiciens comme Daniel Smith ou Alexandre Silvério l’ont cependant tenté mais l’exemple reste assez rare). Sans doute son timbre ne s’y prête-t-il pas vraiment.
Dans le concerto pour la main gauche, le basson donne au jazz une dimension réellement symphonique, tout en reflétant de la part de Ravel un certain recul vis à vis du jazz, recul qui aurait paru moindre si l’instrument avait été, par exemple, un saxophone ténor. .
En réponse à ce passage, Ravel reprend au piano le motif du jazz, en l’habillant d’un halo sonore donné par les cordes qui confère à la musique un caractère onirique.
Ce passage est basé sur la gamme harmonique (gamme « Bartok ») en do. Voici détaillés les différents plans sonores donnés par les cordes :
-Un accord en harmoniques aux violons et contrebasses (sol si b ré fa # la).
-Des phrases en doubles croches, également en harmoniques jouées en canon entre les altos et les violoncelles et également basées sur la gamme Bartok (do ré mi fa # sol la si b do).
-L’ostinato du début du passage, partagé entre les altos 2 et les violoncelles 2.
Ce passage mène la musique au chiffre 31, alors que le thème B se trouve repris par le trombone.
Suite au chapitre 11.