Analyse de la fugue en ut mineur de Mozart (troisième partie)

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Mes 44 et suivantes.
Très beau passage basé sur le sujet exposé en strettes dans les tonalités éloignées de ré bémol puis mi bémol mineur mes 47 et 48. Les V2 se prennent au jeu mes 47 et réalisent une troisième entrée en strettes. On ne peut ici qu’admirer la science contrapuntique de Mozart, dans ce passage qui pourrait rappeler certains moments de la symphonie « Jupiter ».
C’est à partir de la mes 51 que Mozart va commencer à mêler le sujet et son miroir avec comme aboutissement la mes 73 où les deux éléments se trouvent superposés de manière totalement symétrique.
Mes 51 : le sujet textuel se trouve suivi de son miroir en sol aux V1 mes 53. Ce passage est très surprenant du point de vue de l’harmonie du fait des fausses relations engendrées par la superposition des voix. (Fa dièse fa bécarre mes 53 et 54 par exemple).
Noter dans ce passage l’importance de l’élément rythmique en notés répétées de C qui va se retrouver exposé à toutes les voix.

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Mes 57 et 58 : les entrées se resserrent entre S et son miroir entre V2 et altos. Les éléments sont ici imbriqués de manière inextricable dans le ton de fa mineur avec emprunt à si bémol par le la bécarre. (a revoir) puis emprunt à sol et retour à do par le si bécarre.

Mes 62 à 72. Pas de sujet mais un passage qui va donner la part belle aux éléments du contre-sujet et au motif descendant du conséquent du thème. Mozart mélange ces deux éléments en les faisant passer à toutes les voix, dans un contexte global de tonalité instable.

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Analyse de la fugue en ut mineur de Mozart (deuxième partie)

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Il faut aussi noter l’importance de la mesure 13, mesure ajoutée par rapport à l’entrée des voix, et dans laquelle Mozart adopte une tournure mélodique chromatique avec mi bécarre et mi bémol qui se résout sur la note ré, quinte par rapport au sol joué par les bases, et qui renforce le caractère assez théâtral de la nouvelle entrée du sujet aux basses.

Mesures 17 à 19, on trouve un bref divertissement dans lequel semble pointer un hommage aux maîtres baroques. L’écriture peut en effet se rapprocher de certaines pages de Bach ou de Vivaldi.

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Mesures 19 à 35.

On entend ici plusieurs apparitions du sujet exposé de manière modifiée. Tout d’abord, il se trouve décalé de deux temps (temps 3 et 4 et non plus 1 et 2). Mais surtout, il va être exposé dans différentes tonalités. Ce passage modulant est d’ailleurs extrêmement surprenant.

Mes 19, le sujet est donné en mi bémol majeur. Mes 22 il est donné en fa mineur aux violons 1. On remarque ici la présence de fausses relations d’octaves entre le la bécarre des violons 1 et le la bémol des basses. Mes 25, le sujet est donné en sol mineur aux violons 2. Mes 30 il est donné en la bémol aux basses. Enfin il est donné en si bémol mes 32 aux altos. Il est intéressant de remarquer que cette suite de modulations constitue en fait une gamme ascendante conjointe. (Mib fa sol lab sib) qui trouve son aboutissement logique mes 35 avec l’exposition du miroir du thème joué par les violons 1 dans la tonalité d’ut mineur. Cet élément nouveau est d’autre part exposé en strettes entre les V1 et les altos mes 36. On le retrouve un peu plus loin dans le ton de sol (mes 39 et 40) en strettes également entre les basses et les V2.

Il faut remarquer aussi dans les mesures 19 à 35 la part belle qui est donnée aux éléments du contre-sujet ainsi qu’au motif descendant en appogiatures de C, ce dernier se trouvant particulièrement développé mes 26 et suivantes.

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Analyse de la fugue en ut mineur de Mozart (première partie)

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Analyse de la fugue.
Legende :
-S : sujet
-CS : contre-sujet
-A : antécédent
-C : conséquent
-V1 : violon 1
-V2 : violon 2
Le sujet. (S)
Constitué de deux périodes, un antécédent (A) et un conséquent (C).
A : de caractère rythmique fortement marqué, A débute sur une quinte descendante sol do immédiatement contrecarrée par un mouvement conjoint ascendant de quatre doubles croches et suivi d’un saut de septième diminuée descendante. Les notes pivots sont essentiellement la tonique do et la note sensible, si bécarre. Commencer sur la dominante sol et finir sur la sensible confère à cette phrase un aspect particulièrement ouvert, propice au développement.
C : phrase descendante basée sur les notes conjointes de la gamme la bémol, sol, fa, mi bémol, ré et do, chaque note étant précédée d’une appogiature au demi ton inférieur. Deux demi-soupirs ponctuent cette phrase de deux contretemps.
Globalement A est une phrase qui donne la part belle aux grands intervalles disjoints, alors que C est une phrase plutôt conjointe. Pendant ces quatre mesures, Mozart nous donne donc un thème déjà tout en contraste, un concentré d’expression musicale qui va s’épanouir de manière extraordinaire lors du développement de la fugue.

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Pour ce qui concerne l’instrumentation, Mozart confie tout d’abord le thème aux basses, ce qui rajoute à son caractère fortement marqué. La réponse est donnée par les altos. Transposée bien entendu, elle démarre par le premier degré do avec un emprunt à la dominante sol par le fa dièse. Les quatre doubles croches font entendre la gamme mineure mélodique ascendante.

Lors de la réponse survient aux basses un contre-sujet auquel Mozart donnera une grande importance lors du développement. On trouvera en effet lors de ce développement l’élément constitué de trois croches précédées d’un demi soupir et suivies du rythme noire pointée deux doubles, cellule essentiellement rythmique puisque basée sur une note répétée suivie d’une broderie au demi ton. Il sera aisé de remarquer ce motif à chacune de ses apparitions.

Le contre-sujet (CS) réapparaît à chaque entrée au début de l’œuvre plus ou moins modifié en fonction des obligations harmoniques et rythmiques. Mesure 9, les altos jouent en effet une syncope, laquelle se retrouve aux violons 1 mesure 16 alors que les basses jouent le sujet, un peu comme si le compositeur avait imaginé l’entrée d’une cinquième voix. Cette apparition du sujet est d’ailleurs préparée aux basses par deux mesures de silence, ce qui lui confère un coté particulièrement dynamique.

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Analyse de l’Adagio en ut mineur de Mozart (deuxième partie)

Dans ces quelques mesures vont se superposer des plans sonores bien distincts :
-Le dialogue alto-violon 1 sur le motif en broderies.
-La basse chromatique déjà citée.
-La ligne mélodique de violon 2 sur des notes tenues, des arpèges et des intervalles de quintes ascendantes.
Mesure24 à 27 on retrouve donc le début mais transposé en sol mineur, et cela sans aucune modification mélodique.
Aux mesures 28 et suivantes, l’on va retrouver une harmonie modulante tendue avec tout d’abord le motif en broderies qui va passer successivement aux pupitres d’alto, de violon 2 et de violon 1. Par une enharmonie sol bémol fa dièse, Mozart nous mène mesure 31 à l’accord « dom de dom » à savoir un accord de ré septième de dominante qui se résout logiquement mesure 33 sur un accord de sol septième de dominante. Remarquer mesure 32 la gamme descendante de sol mineur (si bémol et mi bémol) qui est un écho à la gamme descendante de ré bémol de la mesure 16, et qui par la présence du si bémol rend d’autant plus surprenant l’accord avec si bécarre de la mesure 32.

 

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Les mesures 35 à 38 donnent à réentendre sans réelle modification les mesures 9 à 12.

Pour la fin de l’adagio, Mozart donne à réentendre de manière modifiée les mesures de 28 à 30. Le motif en broderies passe des basses aux violons 2 puis aux violons 1. Sur une pédale de mi bécarre donnée mesure 41 l’on va retrouver un terrain harmonique modulant avec passage au ton éloigné de la mineur, puis fa mineur. Les plans sonores sont ici outre la pédale harmonique, les violons 1 en appogiatures ou retards, les violons 2 et altos sur une variante du motif en broderies de la mesure 5.

Des mesures 46 à 52 arrive la coda de ce passage qui va mener à la tonalité de sol majeur et qui introduit logiquement la fugue qui suit.

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Analyse de l’Adagio en ut mineur de Mozart (première partie)

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Adagio et fugue en ut mineur de Mozart.

Œuvre dont la composition s’échelonne entre 1783 et 1788. En effet, en 1783 Mozart écrit pour deux pianos une fugue qu’il transcrit en 1788 pour cordes en lui adjoignant un adagio d’introduction.

Il s’agit d’une œuvre assez étonnante et que l’on peut rapprocher de certaines pages telles que la très fameuse introduction du quatuor « les Dissonances » où même du point de vue de l’harmonie de certaines scènes de l’opéra Don Giovanni. La tonalité de do mineur est en effet utilisée par Mozart dans des moments d’extrême tension (scène du Commandeur) ou de douleur (l’air chantée par Donna Anna dans le septuor du deuxième acte, « Lascia lascia a la mia pena »). L’adagio qui sert d’introduction correspond à ce que Mozart a pu écrire de plus tragique. La fugue, elle, étonne toujours par l’âpreté des dissonances qu’elle donne à entendre, et par l’extrême maîtrise dont Mozart fait preuve dans la combinaison des voix.

L’analyse de cette partition est tout à fait passionnante pour ces différentes raisons.

Analyse.

Adagio.

Sur un rythme à la française, Mozart va ouvrir cette œuvre dans la douloureuse tonalité de do mineur. Les quatre premières mesures donnent à entendre les deux pupitres de violons et les altos homorythmiques, cependant que les violoncelles et contrebasses après avoir donné la tonique du passage sur le premier temps donnent une réponse sur les temps 2 et 3 de la mesure. Ce contrepoint mène à la mesure 4 à une modulation sur le 4eme degré (Fa mineur) qui par une cadence plagale revient sur l’accord de do.

Les renversements utilisés : exemple ci-joint.

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Les quatre mesures qui suivent font apparaître un nouveau motif en broderies que l’on retrouvera tout au long du passage et qui est donné par le violon 1. Sur un rythme pointé et sur l’intervalle de demi- ton ré bémol do. Ce motif donne lieu à la mesure 6 à une accord de sixte napolitaine sur des batteries lentes de croches qui mène logiquement mesure 7 à l’accord de dominante sol en renversement +4 suivi dans cette même mesure d’une résolution sur do en sixte et de nouveau sol mais cette fois en sixte. La mesure 8 fait entendre une demi – cadence avec emprunt par le fa dièse à la tonalité de sol. Tout ceci est bien entendu très classique, mais la suite va donner lieu à des audaces harmoniques tout à fait remarquables.

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Les mesures suivantes (9 à 12) reprennent le début mais en le modifiant quelque peu puisque Mozart fait passer la ligne mélodique des violons du début sur le pupitre des basses, dans l’esprit d’une écriture contrapuntique renversable. Ceci induit cependant un changement dans les autres lignes. Noter en particulier les violons 1 sur le motif ascendant sol la bécarre si bécarre do issu de la gamme mineure mélodique. Nous trouvons de nouveau entre les mesures 11 et 12 la modulation en fa mineur mais les accords sont présentés différemment. (mesures 3 et 4 6 5 barré (, ici +4 6). Mais surtout, le dernier accord de la mesure 12 est un accord de 7eme de dominante de fa (do) présenté en renversement +6, et qui mène logiquement à la suite.

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A la mesure 13 réapparaît mais cette fois ci aux basses et sur les notes fa mi bécarre le motif en broderies qui mène de nouveau mesure 14 à une sixte napolitaine. Mais cette fois la sixte va se résoudre mesure 15 sur un accord de second degré de ré bémol, le motif en broderies joué au violon 1 jouant ainsi un rôle d’appogiature du fa grâce au sol bémol. Tout le génie harmonique de Mozart va ainsi s’épanouir dans ce passage modulant sur une ligne chromatique de basses, des mesures 16 à 22, en en une succession d’accords de tension qui va trouver son aboutissement aux mesures 23 et 24, alors que le thème du début se trouve réexposé dans la tonalité de sol mineur.

Analyse détaillée des accords sur partition.

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Analyse du lied Auf dem Flusse extrait du Voyage d’Hiver de Schubert

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 Analyse d’un lied de Franz Schubert.
« Auf dem Flusse », extrait du Voyage d’hiver

Le contexte

Der Winterreise, composé par Schubert en 1827 sur des poèmes de Wilhelm Müller, est un cycle de 24 lieder racontant l’errance d’un homme sur les chemins en hiver, alors que sa bien aimée l’a délaissé. Voyage solitaire au bout d’une nuit sans retour dans laquelle l’espoir semble banni, le voyage d’hiver atteint des sommets inégalés dans l’expression du tragique de la destinée humaine.
Auf dem Flusse est le septième lied du recueil.

  Voici tout d’abord la traduction du texte:

Sur le fleuve

Toi qui bruissais si joyeux,
Toi, fleuve clair et impétueux,
Comme tu es devenu calme,
Sans donner signe d’adieu.

D’une écorce dure et inflexible
Tu t’es entièrement recouvert,
Tu reposes froid et immobile
Etendu dans le sable.

J’ai gravé dans ton manteau
Avec une pierre acérée
Le nom de ma bien-aimée
Ainsi que l’heure et le jour.

Le jour de la première rencontre,
Le jour de mon départ,
Autour du nom et des dates
S’enroule en un anneau brisé.

Mon cœur, dans ce ruisseau,
Reconnais-tu ton image ?
Sous son écorce
Le bouillonnement est –il aussi violent ?

 

Le voyageur se retrouve ici face à un fleuve complètement gelé. Il lui adresse la parole. Attitude bien romantique qui consiste à s’adresser à la nature alors que bien évidemment on ne reçoit rien en retour.
Tout le génie dramatique de Schubert va se déployer dans cette pièce. En quelques minutes seulement, il va parvenir à créer un univers théâtral en illustrant de manière magistrale les idées du texte. Nous allons voir dans ce commentaire de quelle manière il réalise cela.

 

Pour commencer, voici les bases de cette pièce:
Forme ABA’.
Tonalité: mi mineur pour la partie A, mi majeur pour la partie B. Retour à mi mineur pour la partie A’.
Les grandes idées du texte.
Le fleuve est gelé, donc immobile. (Partie A, première page)
Comment la musique décrit-elle cela? En quatre mesures seulement, Schubert plante son décor. Des accords brisés joués par le piano en notes piquées.

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Musique figée, de glace. Ce principe d’accords brisés va se retrouver tout au long de la pièce. Mais en ce début, on voit bien l’intention descriptive du compositeur. On est loin du caractère fluide de l’introduction du lied « Die Forelle » (la truite) ou de « Danksagung an dem Bach » (remerciement au ruisseau) extrait du cycle « Die schöne Müllerin ». (La Belle Meunière). Exemple ci-dessous: le début du lied « Die Forelle ».

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Comme c’est souvent le cas dans les lieder de Schubert, le piano plante le décor. Il est réellement l’écrin dans lequel se jouera l’action racontée par le poème.

C’est sur ce décor que la voix donne le premier thème:

Schubert

Retenons bien ce motif mélodique car il sera par la suite omniprésent dans la pièce. Nous verrons de quelles manières.

Deuxième grande idée du texte. Le souvenir. (Partie B, seconde page)
Dans ton manteau, je grave le nom de ma bien aimée, etc.. Musique teintée de tendre nostalgie. La tonalité change, l’accompagnement aussi. Des accords martelés tout d’abord en doubles croches, puis en triolets de doubles, comme un coeur qui palpiterait de plus en plus fort à l’évocation de la bien aimée perdue. Ici ce n’est pas le paysage qui est dépeint mais l’intériorité du personnage.

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Deux mesures sur basses descendante et accords ascendants à la main droite (mouvements contraires), servent à la transition vers la partie A’. C’est le retour au caractère initial de la pièce.

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Troisième grande idée du texte: le miroir (partie A’ pages 3 et 4).
Pourquoi ce terme de miroir? Parce qu’ici le voyageur s’identifie au fleuve gelé. Il s’adresse à son coeur (mein Herz) en évoquant sa ressemblance avec lui. Comme le fleuve, le coeur est gelé au dehors, et continue à bouillonner en dessous. Belle idée poétique qui est rendue magistralement par la musique. En effet, à ce moment de la pièce que fait le piano? Il reprend le thème que donnait la voix au début de la première page. L’effet de miroir est ainsi complet, avec une idée mélodique facilement reconnaissable puisque faite d’une ascension conjointe sur un intervalle de quinte qui va se trouver tout d’abord au chant, puis au piano. Toute la dernière partie sera basée sur la main gauche du piano qui répète inlassablement ce thème dans les différentes tonalités abordées. La main droite joue au dessus des accords brisés qui peuvent être un rappel de la partie B.

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L’harmonie.

Le génie de Schubert se manifeste ici pleinement avec un sens inouï de la modulation surprenante.
Considérons la première strophe. La tonalité principale de mi mineur se trouve bien installée après l’introduction, sur les deux seuls degrés de tonique et dominante. Mais à la 9eme mesure, nous passons sans transition à une tonalité très éloignée avec un accord de ré dièse mineur présenté en quarte et sixte qui mène sur les mesures 11 et 12 à une cadence parfaite dans ce ton de ré dièse mineur. La mesure 13 sert à ramener la tonalité principale en accords martelés. (Evocation de ce que sera la seconde partie). Modulation incroyable qui correspond au texte, alors que le voyageur dit au fleuve: « comme tu es devenu calme, sans donner signe d’adieu ». Il en sera de même pour le seconde strophe.

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Ce procédé sera repris de manière amplifiée dans la dernière partie (A’), avec ce motif obsédant à la main gauche, sur une partie vocale de plus en plus passionnée et tendue. Remarquer que sur le troisième système de cette page 3, la voix et la basse du piano sont écrites en lignes mélodiques parallèles sur des intervalles de tierces, comme si Schubert cherchait à réunir le voyageur à cet environnement hostile. Par la suite, le chanteur se démarquera du piano, semblant ainsi renoncer à cette union impossible. Dans la première page, le piano double également à la basse les notes du chant au début de la pièce.
Parcours tonal de cette dernière partie: mi mineur, ré dièse mineur, sol dièse mineur, retour à mi mineur, sol majeur, fa dièse majeur, mi mineur, sol mineur, puis retour définitif à mi mineur. Parcours tonal donc extrêmement mouvant qui permet à Schubert une expression maximale qui va trouver sa résolution dans les cinq dernières mesures, basées uniquement sur l’accord de mi mineur avec une dernière évocation du thème principal à la basse, comme un écho.

 

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Pour ce qui concerne la seconde partie, on peut dire qu’elle est plus stable harmoniquement, avec emprunts à la dominante si et modulation en fa dièse mineur. Mais ce calme tout apparent met encore plus en valeur le caractère si passionné des deux dernières pages.

 

Chaque lied de Schubert peut être analysé de la sorte. On peut également se pencher sur la partie de piano, toujours divinement écrite. On s’aperçoit qu’il peut en une mesure créer un climat, peindre un tableau, évoquer un sentiment. Il existe chez Schubert un instinct musical inouï lié à une technique d’écriture infaillible, notamment en ce qui concerne la partie de piano. Chaque accord, chaque retard, chaque appogiature, et bien entendu chaque modulation peut servir à l’expression de l’indicible.

 

 

Le rapport entre la musique et l’image. Trois exemples.

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Musique et image.

Cours donné dans le cadre des thématiques de classe de seconde à option musique. 

Essai de synthèse.

Trois exemples ont été proposés pour illustrer la thématique. Une scène du film King Kong de 1933 (musique de Max Steiner), une scène du film Bird de Clint Eastwood (bande son faite de jazz Be-bop avec solos signés Charlie Parker), et un dessin animé de la série de courts métrages Tom et Jerry (musique de Scott Bradley).
Pour la scène de King Kong, (la tribu livre la jeune femme à Kong), jouée à une époque encore proche du cinéma muet, il va de soi que la musique va revêtir une importance capitale. Il s’agit en effet d’une scène où le dialogue est absent et dans laquelle seul va compter l’effet visuel. La musique de Steiner va donc chercher à renforcer les images en les illustrant de plusieurs manières.
Tout d’abord, la musique est là pour  grossir  les effets. Le thème tribal que l’on entend tout d’abord joué par les vents et en particulier les cuivres est à la fois diégétique (présence à l’image des percussions) et extra diégétique (présence hors champ d’un orchestre entier inconcevable bien entendu dans la situation). Ce thème est très rythmique, pesant et appuyé, en rapport avec la danse farouche qu’exécutent les membres de la tribu qui s’apprêtent à accomplir un rite païen, un sacrifice. Du point de vue de l’écriture, ce thème donne à entendre des notes tout d’abord descendantes très marquées, très accentuées, contrecarrées par un motif ascendant en arpèges, ce dernier motif menant à l’énoncé du thème associé à la jeune femme.

Voici donc ce premier thème:


Le second thème d’un caractère très différent est joué plutôt par les cordes. Il est globalement de courbe ascendante correspondant à l’état de panique psychologique dans lequel est plongée la protagoniste. Une succession en paliers de brèves phrases chromatiques dans un esprit de tension croissante, tant il est vrai qu’en musique, une montée vers l’aigu est souvent génératrice de tension. Ce thème de cordes peut ici être appelé leitmotiv, terme d’origine allemande désignant un motif musical associé à une idée, un sentiment, une action ou un personnage. C’est cette dernière association qu’il faut considérer ici. A chaque apparition à l’image de la jeune femme, on retrouve ce thème.

Voici donc pour pouvoir écouter ce thème indépendamment du reste:

Le principe du leitmotiv n’est bien entendu pas nouveau. Il a été durant le 19eme siècle extrêmement utilisé dans le domaine de l’opéra, par des compositeurs comme Georges Bizet ou Richard Wagner. L’illustration de l’image par ce procédé de leitmotiv correspond à une illustration  en profondeur , une mise en relief qui nécessite pour sa perception consciente un bon niveau d’écoute de la part du spectateur. Le thème tribal se situe davantage dans le domaine du premier degré. Il est plus aisément perceptible, ainsi que certaine autres illustrations telles que l’ascension ou la descente des marches, que la musique accompagne de montées ou de descentes chromatiques, ou encore l’arrivée de Kong, bien marquée par de gros accords en crescendo appuyés de notes tenues de trombones joués par l’orchestre.
Le rapport musique-image se situe dans cette scène entre l’illustration purement figurative et l’illustration psychologique, dans une corrélation finalement assez complexe.
Intéressante est la manière avec laquelle Max Steiner mêle ses deux thèmes de façon à bien montrer comment ces personnages se trouvent unis dans cette scène, ceci à la manière des grands compositeurs classiques qui dans leurs œuvres donnent en général à entendre plusieurs thèmes de caractère différent qui s’entremêlent et s’influencent mutuellement. (Ecouter les symphonies de Mozart ou de Beethoven par exemple). Dans la musique de Steiner, les deux thèmes sont alternés mais parfois ils se mélangent, dans un travail d’écriture de dimension symphonique. Max Steiner (1888-1971) connaît la musique. Il est à l’origine un compositeur autrichien né à Vienne qui a reçu l’enseignement de Gustav Mahler et de Johannes Brahms. Il a émigré aux Etats-Unis en 1914 où il a travaillé comme chef d’orchestre et arrangeur à New York. La musique de King Kong a véritablement lancé sa carrière, et il a par la suite signé les musiques de films cultes tels que Casablanca ou Autant en emporte le vent.

Voici cette musique magnifique. La scène du sacrifice qui a été commentée se trouve ici à 11 minutes et 15 secondes.

Dans la scène du film Bird, le rapport musique-image est un peu différent. Tout d’abord, il s’agit d’un film dont le sujet principal est la musique. (A la fin d’ailleurs, Clint Eastwood dédie son film à tous les musiciens).
Ici le dialogue est prépondérant. La scène débute par une conversation entre Charlie Parker et un inconnu (on saura par la suite qu’il s’agit du trompettiste Red Rodney) avec un fond sonore que l’on pourrait croire extra-diégétique, mais on ne tarde pas à s’apercevoir que cette musique est diégétique puisqu’elle sort du bar qui se trouve à coté alors que Bird sous l’emprise de la drogue est en train de monter son saxophone. Ici elle est juste hors champ.
L’entrée des deux hommes dans le bar est marquée par la musique plus forte, qui entre alors dans le champ. La porte se referme et nous pénétrons dans le lieu. Parker (incarné ici par l’excellent Forest Whitaker), joue tout d’abord hors de la scène. Il joue « out » pour préparer son entrée, comme s’il chauffait son instrument. Au moment de la cadence, il entre en scène et attaque un chorus endiablé, sous les applaudissements. D’un point de vue scénique, tout est fait pour que cette entrée soit la plus théâtrale possible. Ici, le spectateur doit être subjugué, et cela fonctionne.
Après un fondu enchaîné, on va changer totalement d’univers pour se retrouver le matin dans une chambre dans laquelle Bird et une jeune femme sont en train d’écouter un extrait de l’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky. La musique est ici diégétique. L’intérêt du choix de l’extrait est très grand. Eastwood choisi ici l’un des moments les plus mélodiques de l’oeuvre, la Ronde des princesses, pour que la rupture avec la scène précédente soit maximale. (Il existe en effet dans l’oiseau de feu des moments extrêmement puissants et rythmiques qui ici n’auraient pas convenu à l’effet cinématographique voulu).
Après un dialogue (Lui :..Je parle de Stravinsky. Elle : moi aussi, nous allons chez le même dentiste.) , nous nous retrouvons en voiture sur le chemin du domicile de Stravinsky. Bird finit par sonner à la porte pour apercevoir le musicien. On entend à ce moment là l’extrait de l’Oiseau de feu en hors champ, qui correspond à l’état psychologique de Bird. En effet, le spectateur entend cette musique alors que Bird l’entend vraisemblablement dans sa tête. Le moment où apparaît Stravinsky est marqué par la musique en crescendo. La porte se referme et on entend alors une petite phrase de saxophone extra-diégétique qui semble rappeler que Parker est avant tout jazzman.
La musique semble ici mettre l’accent sur deux mondes inconciliables, vie bohème et confort bourgeois d’un musicien installé (« comment avoir une maison comme celle là » dit Bird à la fin de la scène). Il faut savoir cependant qu’Igor Stravinsky adorait le jazz et que ce style l’a même influencé dans certaines de ses œuvres. (Ebony concerto pour orchestre d’instruments à vent ou une pièce intitulée Ragtime, par exemple). Charlie Parker et Stravinsky se sont d’ailleurs rencontrés brièvement à plusieurs reprises. A la sortie du film Bird, Chan Parker, épouse du musicien racontait que son mari était tellement impressionné qu’il arrivait à peine à s’exprimer.

En ce qui concerne le court métrage de la série Tom et Jerry, on peut dire que la musique illustre l’action au premier degré avec parfois des subtilités que seule une analyse approfondie peut mettre en valeur.
La musique qui accompagne l’image est ici très narrative, avec une dominante jazzy et parfois des allusions à la comédie musicale, à la musique classique et à des thèmes préexistants. Elle utilise de très nombreux bruitages et effets instrumentaux (cuivres avec sourdines, glissando de trombone, pizzicati de cordes, bruits divers) ainsi qu’une très grande virtuosité de la part des instrumentistes (phrases très rapides de cordes et de xylophone lors des poursuites par exemple), tout ceci pour renforcer les effets comiques.
L’orchestration est ici extrêmement variée, ainsi que les tempi et la thématique, ceci en fonction des gags qui s’enchaînent. On passe en effet très facilement d’une orchestration très fournie à un instrument soliste, d’un tempo très alerte à un tempo lent, etc.. Ecoutons pour nous en rendre compte le John Wilson Orchestra qui interprète cette musique.

Dans l’extrait proposé est jouée une mélodie de berceuse qui apparaît plusieurs fois lors de la séquence. (Cette même mélodie est d’autre part souvent utilisée dans les dessins animés de cette période). Ce thème est au début suggéré par la clarinette puis par les cordes, au moment où une petite fille quelque peu cruelle joue avec le chat Tom en le considérant comme son enfant. Il apparaitra ensuite de manière diégétique, dans le champ, au moment ou la souris pose sur le lecteur un disque contenant cette musique. Les variations sur le thème de la berceuse correspondent à une subtilité d’écriture qui situe le rapport musique-image loin de l’illustration sonore au premier degré, et qui peut se rapprocher du thème de la jeune femme sacrifiée dans King Kong.
Entre diégèse et extra-diégèse, on trouve ici aussi de nombreux exemples parlants extrêmement faciles à percevoir. (Le tourne disque, les moustaches de Tom utilisées comme des cordes de guitare, etc..).
Dans le dessin animé enfin, une très grande importance est donnée aux mouvements, le rythme et le tempo des différentes musiques étant souvent calés sur les déplacements des protagonistes. (Marches, poursuites, statisme, etc..). Là aussi la perception du rapport musique-image est immédiate.

L’illustration sonore au cinéma est un domaine très vaste, qui a changé en fonction des époques et des styles mais de nombreux procédés restent les mêmes. Voici pour résumer différents moyens mis en œuvre par les auteurs de bande son.
– Effets instrumentaux. Orchestration.
-Thème. Leitmotiv.
– Ecriture. Variations sur thèmes.
– Bruitages.
– Rythme. Tempo.
– Changements de climats. Renforcement de l’action (poursuite, suspense, mouvement, etc..).
Liste non exhaustive

Actuellement de nombreuses super-productions (Pirates des Caraïbes, Le Seigneur des anneaux, Exodus, par exemple) ont opté pour une musique continue, un discours fleuve dans lequel apparaissent régulièrement des thèmes leitmotiv.
Certains films optent pour une absence presque totale de musique pendant l’action. (The Lunch Box, film indien de Ritesn Batra). Cet exemple mérite d’être signalé car il reste rare.
Depuis le pianiste qui joue en continu durant la projection d’un film muet à nos jours, la musique au cinéma a été l’objet d’une évolution qui a permis aux compositeurs qui s’y sont consacrés de produire de nombreux chefs d’oeuvre. Certaines œuvres ont même pu être extraites de leur contexte cinématographique pour devenir des pièces de concert (Mission, de Morricone), mais en général les musiques pensées pour l’illustration de l’image restent indissociables de celle ci.

Le concerto pour piano. Mozart et Ravel. Aperçu.

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Le concerto pour piano et orchestre.

Genre important dans l’histoire de la musique dite classique, le concerto pour instrument soliste et orchestre naît au 17eme siècle pour s’épanouir durant le 18eme siècle et trouver une sorte d’apogée au 19eme. De nos jours il arrive que l’on compose encore des pièces de ce genre même si cela reste relativement rare. (Concerto pour violon de Mantovani par exemple).
Pendant l’ère romantique, le concerto pour piano permet à des compositeurs interprètes de leurs propres œuvres de se mettre en valeur, ceci notamment grâce au perfectionnement de l’instrument qui leur permet de jouer dans des salles de plus en plus grandes et donc des publics de plus en plus fournis. Parmi ces virtuoses, les plus célèbres seront Franz Liszt et Frédéric Chopin.

Petite histoire du piano. (A ses débuts appelé piano-forte)
Né au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, de l’atelier du facteur italien Bartolomeo Cristofari, le piano devient rapidement l’instrument-roi du XIXe siècle.
Sa facture n’a cessé d’évoluer afin de répondre aux besoins de puissance de son et de rapidité d’exécution exprimés par des pianistes de plus en plus virtuoses.
La pratique du piano, réservée au XVIIIe siècle à une élite aristocratique, se démocratise tout au long du siècle suivant. L’instrument orne les salons bourgeois et il est enseigné aux jeunes filles de bonnes familles.
Au XXe siècle, il offre aux compositeurs un moyen d’échapper à la tonalité pour développer d’autres langages musicaux.
La période entre 1830 et 1850 constitue l’âge d’or de la facture de piano en France. Celle-ci n’importe plus ses pianos d’Angleterre mais en produit et en exporte. Paris devient l’un des grands centres de la facture de pianos.
Sur les sept grand noms de facteurs français, trois dominent, tous parisiens : Erard, Pleyel, Pape.
En Allemagne, les grandes marques seront Bösendorfer et Steinway. Actuellement ce sont les modèles grand concert de Steinway and sons qui équipent les salles les plus prestigieuses.
La maison Erard s’impose par ses grands pianos à queue. Sébastien Erard met au point, entre 1820 et 1823, le piano à double échappement. Cette invention, qui permet une plus grande rapidité de jeu, place la maison Erard au premier plan des facteurs européens jusqu’au milieu du XIXe siècle.
En 1807, Ignace Pleyel fonde une manufacture de pianos et de harpes qui s’impose très vite comme la grande rivale d’Erard. Associé à son fils Camille (1788-1855) à partir de 1815, puis avec le célèbre Karlbrenner, il équipe ses instruments dès 1826 d’un cadre en fer et d’un sommier à pointes de cuivre, mais il reste fidèle à la mécanique à échappement simple.

Deux exemples de concerto pour piano et orchestre.

Tout d’abord le concerto numéro 23 en la majeur de Mozart.

Cette œuvre fut composée en 1786. Le compositeur est alors en pleine maturité. (Il décède en 1791).
Ce concerto est écrit suivant le schéma classique de trois mouvements bien distincts, le premier rapide, le second lent, et le troisième rapide tout comme le premier. Il faut savoir que la plupart des concertos pour soliste et orchestre obéissent à ce principe. Le mouvement lent du 23eme concerto fait partie des œuvres les plus connues de Mozart. Il a été notamment utilisé au cinéma. (ex: L’Incompris réalisé par Comencini ou Le nouveau monde de Terrence Malick)
A l’origine cette œuvre est écrite pour piano-forte (l’ancêtre du piano actuel) accompagné par un orchestre à cordes, deux clarinettes, deux bassons, deux cors et un flûte. De nos jours l’oeuvre est jouée sur des pianos bien entendu modernes accompagnés par un orchestre symphonique réduit. Certains interprètes ont tenté de retrouver les sonorités de l’époque de Mozart en l’interprétant sur un piano-forte.
Le 23eme concerto, œuvre dans l’ensemble lumineuse démarre dans son premier mouvement en une forme sonate qui permet au compositeur d’exposer ses deux thèmes à l’orchestre avant de les reprendre au piano. Le dialogue soliste orchestre qui suivra permettra le développement de ces thèmes. On sent en écoutant l’oeuvre que l’opéra n’est pas loin. Il arrive au détour d’une page que l’on s’attende à voir surgir un personnage. Il faut savoir que ce concerto a été composé par Mozart la même année que l’un de ses plus célèbres opéras, « Les Noces de Figaro ». Cela se ressent donc forcément dans son écriture purement instrumentale.

Voici quelques exemples en partition et en document audio.

Tout d’abord le thème A du premier mouvement de ce concerto. .

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Les annotations sur la partition permettront de suivre les caractéristiques de l’écriture.

 

Voici maintenant le thème B

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On ne peut ici qu’admirer la science de l’écriture alliée à une prodigieuse invention mélodique.

 

Comme il a été dit plus haut, l’opéra n’est jamais loin.

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Par la suite, le piano reprendra donc ces deux thèmes que Mozart développera dans son dialogue soliste-orchestre.

Voici tout d’abord le thème A lors de l’entrée du soliste

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On remarque bien entendu que le piano est obligé de « remplir ». Mozart rajoute donc une basse d’Alberti, des arpèges et des gammes.

 

Voici maintenant le thème B, repris par le piano dans le ton de la dominante.

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Lors du développement l’on pourra entendre des passage absolument merveilleux issus de cette exposition. Mozart donnera même un troisième thème. Ne pas hésiter donc à écouter ce concerto dans son intégralité. Le mouvement lent fait partie des pages les plus bouleversantes écrites par Mozart. Le dernier mouvement est d’une très grande vitalité.

 

Quelques questions et leurs réponses.

Qu’est-ce qu’un concerto ? Une œuvre musicale donnant lieu à un dialogue entre un instrument soliste et un orchestre. Il arrive qu’un concerto n’aie pas d’instrument soliste. C’est le cas pour les concertos Brandebourgeois de J.S.Bach. Cela reste cependant rare. Le terme concerto vient du verbe concerter (en italien concertare) qui correspond bien à cette idée de dialogue.

A quelle époque nait le genre ? Au 17eme siècle. Ce genre est lié en grande partie à l’évolution de la facture et à l’émancipation de la musique instrumentale. Grâce notamment à l’avènement de l’opéra apparaissent les premiers orchestres. Les « sinfonias », sortes d’intermèdes instrumentaux joués lors des opéras seront les prémices des genres que l’on a appelé par la suite symphonie et concerto.

Qu’est-ce qu’une forme sonate ? Une forme très utilisée par les compositeurs germaniques au 18eme siècle qui consiste à exposer plusieurs thèmes de caractère différent (généralement 2) puis à développer ces thèmes avant de les réexposer de manière non textuelle. La forme sonate va perdurer pendant le 19eme siècle et même pendant le 20eme. Le concerto pour la main gauche de Ravel est écrit suivant ce principe.

Qu’est-ce qu’une cadence dans un concerto ? Un moment durant lequel l’orchestre s’arrête pour laisser place au soliste. C’est généralement là que le soliste doit donner la preuve de sa virtuosité. A l’époque de Mozart, les cadences étaient improvisées, le compositeur étant souvent le soliste. Au 19eme siècle avec Beethoven, les cadences seront écrites. Beethoven a d’ailleurs composé des cadences pour les concertos de Mozart.

Deuxième exemple : le concerto pour la main gauche de Maurice Ravel

Ici, changement d’univers. Une analyse très détaillée de ce concerto est proposée sur ce site. En voici tout de même un résumé.

Dans sa conception, le concerto pour la main gauche est une œuvre atypique puisqu’écrite en un seul mouvement.

Le concerto pour la main gauche est une oeuvre tourmentée, mouvante, tout en contrastes qui allie la noirceur à une lumière souvent blafarde et qui correspond à une époque où le monde s’apprête à replonger dans le désastre, à l’orée des années 30. Cette oeuvre est en effet composée entre 1929 et 1931. Ravel avait été profondément marqué par la guerre de 14-18 et cela s’est ressenti dans certaines de ses oeuvres dont ce concerto.
Tout débute par ce premier thème exposé dans les ténèbres de l’orchestre. Sur un motif tournant joué par les contrebasses sur les cordes à vide, il apparait au contrebasson. Après l’introduction orchestrale, en crescendo avec montée vers l’aigu, ce thème sera rejoué, appaisé, par le piano, lors de la cadence qui suit l’introduction d’orchestre.
Le second thème joué par les cors est exposé également dès le début de l’oeuvre. En effet, il succède immédiatement au premier, amenant un peu de couleur dans cette noirceur initiale. Ce passage pourrait évoquer la naissance du monde. Mais un monde quelque peu inquiétant. La suite de l’oeuvre confirmera ces éléments joués lors de l’exposition.
Après la première cadence de piano, l’orchestre reprend le premier thème en tutti. Moment grandiose qui se terminera quelques instants plus tard avec un rythme de Habanera (cher à Ravel) suivi d’un decrescendo.
Troisième idée. Ce troisième thème d’une infinie douceur est joué par le piano. Il faut ici admirer la science de l’écriture. On entend en effet un contrepoint dans lequel deux voix sont savamment entremêlées dans les cinq doigts de la main gauche de manière à donner réellement l’illusion que jouent les deux mains du soliste. Ce thème est amené par un changement de climat, du majeur au mineur, lors du passage orchestral qui le précède. Economie de moyen d’une très grande efficacité et d’une très grande expressivité. En une seconde à peine, la musique bascule et change d’univers.
Ce moment de calme, de respiration sera interrompu par une redite du premier thème, répété de manière inexorable en paliers ascendants. Ascension irrésistible vers un des climax de l’oeuvre qui va faire chuter de manière très brutale la musique dans le passage central, sorte de jazz démoniaque qui va donner lieu à une sorte de lutte entre le soliste et tout l’orchestre. Ce passage, non dénué d’humour (humour souvent grinçant typiquement ravélien) donne à entendre un soliste dans l’esprit d’une improvisation qui répond à des interventions d’orchestre en gammes descendantes. Au milieu de cette noirceur, de manière très surprenante survient un passage léger, presque enfantin, une sorte de boîte à musique dans laquelle le piccolo tient la partie principale. Puis c’est le retour au jazz. Le basson soliste reprend à son compte le thème B. Ce thème va se trouver répété lui aussi avec à chaque reprise un rajout d’instruments. Passage de plus en plus monstrueux, dissonant, mêlant en un tutti démoniaque le soliste et l’orchestre. Ce moment sera brusquement interrompu par le retour de la boîte à musique. Ravel brise ainsi une musique mécanique en la remplaçant par une autre, tout aussi mécanique mais de caractère radicalement différent.
Puis l’orchestre entame sa dernière ascension. Un motif répété de plus en plus fort qui va donner lieu pour finir à une sorte de désagrégation, une chute vers le grave qui amène l’oeuvre à la dernière cadence du soliste.
Cette cadence, l’un des plus beaux solos de piano jamais écrits, va être une sorte de récapitulation de tout ce qui a été dit précédemment, hormis le passage central. En effet, les trois thèmes vont se trouver successivement réexposés par le piano. Cela commence par le second thème, puis le troisième, et enfin le premier, qui par paliers ascendants va mener à la fin de l’oeuvre, par le biais d’un retour au second thème, une sorte de rappel du début alors qu’il était joué par les cors. Dans une telle œuvre, rien n’est laissé au hasard et une idée exposée à un moment donné réapparaîtra forcément à un autre moment.
Peu à peu, comme il avait disparu, l’orchestre se reconstitue. De nouveau, comme un dernier soubresaut, la musique va monter vers un climax puis en quelques secondes se terminer par le jazz central, sorte de coda qui amène le tutti en une dernière vision démoniaque à l’accord final. Nous sommes ici dans l’esprit de la fin du boléro du même auteur, musique dans laquelle on se dirige de manière inéluctable vers le chaos final. Il en est de même pour une autre œuvre du compositeur, La Valse.
Mozart et Ravel. Deux univers musicaux différents pour deux époques différentes. Du classicisme à la période moderne, le genre du concerto pour piano permet bien d’appréhender deux visions du monde à travers deux manières de concevoir l’écriture musicale. Pourtant des points communs subsistent, le principal étant l’utilisation de la forme sonate comme principe de composition. L’idée perdure à travers les ages, cette idée qui consiste en la rencontre de deux voire trois thèmes, trois entités qui se confrontent, se mélangent pour donner lieu à une œuvre. Ravel reprend à son compte ces schémas classiques pour les accommoder à sa manière moderne.
Comme tout compositeur, Ravel vénérait Mozart. Il a d’ailleurs prétendu s’être aidé de son quintette avec clarinette pour composer le second mouvement de son autre concerto pour piano (à deux mains celui là), le concerto en sol, autre œuvre incontournable de la période moderne.
Les époques passent, mais les genres et les structures perdurent. Les formes classiques (forme sonate, forme ABA, forme rondeau, etc..) restent des cadres dans lesquels peut se couler l’inspiration des musiciens. Peu d’entre eux ont écrit sans système. Certain ont révolutionné le langage en désagrégeant ces formes, d’autres s’y sont maintenus. Ravel fait partie de ces derniers.

Il existe sur ce même site une analyse très détaillée du concerto pour la main gauche. Il ne faut pas hésiter à aller la consulter.